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HISTOIRE SOCIALISTE

c’était le plan de Mirabeau aussi ; mais il voulait que le Roi trouvât la force nécessaire à cet appel dans la Révolution elle-même, loyalement acceptée et invoquée par lui.

Pas de hordes étrangères, pas de despotisme, pas de fuite vers la frontière et vers la tyrannie. Le Roi, libéré de Paris, devait s’installer au cœur même de la France et de la liberté. Or, voilà que, par une abominable parodie, châtiment de ce qu’il y avait d’impur en ces relations secrètes, le Roi fuyait de Paris, mais fuyait aussi de la Révolution. C’est une caricature ignominieuse du plan du grand tribun, mais qui en retenait assez de traits pour le déshonorer et pour le désespérer. Si Mirabeau avait assez vécu pour apprendre la fuite de Varennes, il aurait été frappé d’un coup formidable dans son orgueil et dans sa dignité même. Il aurait dû s’avouer qu’il avait été dupe de la Cour, dupe misérable et méprisée, et l’argent même qu’il avait reçu du Roi et où il affectait de voir le prix d’une sorte de collaboration, le salaire d’une sorte de ministère occulte, lui aurait apparu avec dégoût comme le prix de son aveuglement, comme un salaire de trahison, chute salissante dans l’obscur sentier soudain devenu fangeux ! Et aucun moyen de relèvement, aucune issue hors de ce morne abîme.

Excuser la fuite du Roi, lui donner ou essayer de lui donner une signification nationale, c’était accepter la substitution du plan de trahison au plan de libération. C’était soi-même entrer dans la trahison définitive. Mirabeau ne s’y serait point résigné ; d’un bond, pour échapper à cette contagion de crime et de bassesse, il se serait jeté à l’extrémité révolutionnaire. Plus d’une fois déjà il avait averti la Cour ; si on ne l’écoutait point tout serait perdu, et il ne lui resterait plus alors qu’à se sauver lui-même en se portant de nouveau à l’avant-garde de la Révolution, mais quoi ! après Varennes, l’aurait-il pu ?

Il était si facile au Roi, qui n’avait plus rien alors à ménager, de foudroyer Mirabeau en publiant ses relations avec lui et le compte des sommes qu’il lui avait données. Il était facile au Roi d’attribuer ce revirement du grand révolutionnaire à la suspension des mensualités. Et non seulement il pouvait déshonorer et briser Mirabeau, mais il pouvait par là, frapper au cœur la Révolution elle-même.

Plus tard, quand le peuple révolutionnaire du 10 août trouvera aux Tuileries la preuve des relations de Mirabeau avec la Cour, il ne se sentira pas humilié et dégradé, car la Révolution aura depuis longtemps déployé des forces où Mirabeau n’était point mêlé, et c’est encore une victoire révolutionnaire qui forçait et livrait au grand jour ce triste secret. Mais si, en 1791, le Roi fugitif et prenant contre la France révolutionnaire le commandement des troupes étrangères avait pu se réclamer cyniquement de Mirabeau, il aurait pour ainsi dire porté le désespoir et presque l’infamie en toutes les âmes que la parole du grand révolutionnaire avait soulevées. « Voilà la source de votre