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HISTOIRE SOCIALISTE

voir la reine à Saint-Cloud, et quand un journal raconta cette entrevue, le public resta sceptique et Mirabeau n’eut même pas besoin de nier. Pourtant une sorte d’instinct avertissait le peuple qu’entre Mirabeau et la Cour il y avait peut-être quelques rapports secrets, mais qui sait si le grand révolutionnaire n’avait pas voulu simplement suivre de près les intrigues de la contre-révolution pour les mieux déjouer ?

Sa parole, aux grands jours de crises, jaillissait toujours si audacieuse, si fière d’elle-même, si foudroyante parfois pour la contre-révolution qu’elle dissipait soudain toutes ces vagues nuées de soupçon. Marat seul garda, même devant la mort, toute sa haine et tout son mépris, et sous le titre : Oraison funèbre de Riquetti, il écrivit le lundi 4 avril :

« Peuple, rends grâce aux dieux, ton plus redoutable ennemi vient de tomber sous la faux de la Parque, Riquetti n’est plus : il meurt victime de ses nombreuses trahisons, victime de ses trop tardifs scrupules, victime de la barbare prévoyance de ses complices atroces, alarmés d’avoir vu flottant le dépositaire de leurs affreux secrets. »

Ainsi, selon Marat, Mirabeau mourait, empoisonné par la Cour, parce qu’il n’avait pas voulu s’associer, jusqu’au bout à ses complots contre la liberté, et la Cour le faisait disparaître pour qu’il ne pût dénoncer ses trames. En accusant Mirabeau de la sorte, Marat le justifiait, car ce que retenait la partie la plus ardente et la plus soupçonneuse du peuple, c’est que Mirabeau avait été empoisonné par la contre-révolution, et qui sait encore une fois s’il n’avait point paru s’associer à certaines intrigues pour en mieux surprendre le secret ?

Une impression de mystère se mêlait, dans l’âme du peuple, à la naturelle émotion de la mort, et tout, même les accusations passionnées de Marat, tournait à la glorification du tribun.

Dans sa conscience révolutionnaire, plus vaste que tous les partis et que toutes les haines, le peuple réconciliait toutes les forces de la Révolution : Mirabeau, Robespierre, Marat. Les sociétés populaires dressaient côte à côte le buste de Robespierre « l’incorruptible » et le buste de Mirabeau accusé de corruption. Et chose curieuse ! c’est à Marat lui-même que des ouvriers demandaient avec une admirable candeur de Révolution le moyen de célébrer la mémoire de Mirabeau. Marat recevait et publiait dans son numéro du 24 mai 1791, la lettre suivante :

« A l’Ami du Peuple,

« Cher ami du peuple, daignez nous aider par vos conseils : je vous parle au nom de tous les garçons cordonniers de la capitale, qui, pour vous garantir de la plus légère blessure seraient tout prêts à répandre leur sang. Il est bon de vous dire que le 18 de ce mois, nous nous proposions de faire un service à feu Mirabeau. Cela éprouva beaucoup de contestations et il n’y