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HISTOIRE SOCIALISTE


« Recommandez à M. de Bombelles la plus grande prudence et une grande circonspection vis-à-vis du comte d’Artois. Le roi craint, et avec raison, qu’il ne revienne quelque chose de ses projets à M. le prince de Condé, et que ce prince, poussé par son ambition et le désir de jouer un rôle principal, ne hâte l’exécution de son entreprise chimérique, et vous sentez assez quelles en seraient les conséquences et les inconvénients pour celle que le roi veut exécuter…

« Le roi est de votre avis de différer les négociations relatives à une confédération à former contre la Prusse, la Hollande et l’Angleterre, jusqu’au moment où les dispositions favorables ou défavorables de ces puissances seront mieux connues, ainsi que sur les avantages ou sacrifices à accorder pour prix des services qu’on aurait rendus. S. M. a toujours répugné, et son projet n’a jamais été de les offrir, mais de les accorder si cela devenait absolument nécessaire. Elle avait même pensé à ne s’y décider qu’en faveur de l’Angleterre. »

La lettre est du 2 avril, mais soumise à correction elle ne fut pas expédiée tout de suite et les derniers paragraphes se réfèrent à des événements un peu ultérieurs : « D’après ce qui s’est passé le 18 (avril) le roi sent encore plus vivement la nécessité d’agir et d’agir promptement ; il est décidé à tout sacrifier à l’exécution des projets qu’il a formés et, pour y parvenir plus, sûrement, Sa Majesté s’est décidée à adopter un autre système de conduite ; et, pour endormir les factieux sur ses véritables intentions, il aura l’air de reconnaître la nécessité de se mettre tout à fait dans la révolution, de se rapprocher d’eux ; il ne se dirigera que sur leurs conseils et préviendra sans cesse le vœu de la canaille, afin de leur ôter tout moyen et tout prétexte d’insurrection, et afin de maintenir la tranquillité et leur inspirer la confiance si nécessaire pour la sortie de Paris. Tous les moyens doivent être bons pour parvenir à ce but. On dit qu’on va demander le renvoi de toute sa maison, il sera accordé, et cette circonstance pourra peut-être fournir un peu d’argent. »

« D’après une lettre très pressante du comte d’Artois, dans laquelle il paraissait disposé à aller joindre le prince de Condé (pour tenter une brusque invasion en France) et où il appuyait beaucoup sur les moyens qu’il avait, on lui a mandé d’envoyer un homme de confiance pour être pleinement instruit de ses moyens et se concerter avec lui sur la possibilité d’agir. On a imaginé ce moyen pour le retenir où il est et gagner du temps. On va aussi envoyer au prince de Condé un nommé Conti, homme de confiance de ce prince, pour lui rendre compte de la position du roi et l’empêcher d’agir, en lui représentant les dangers auxquels la famille royale serait exposée si l’on voulait tenter quelque chose en ce moment. »

Ainsi, à la fin de mars et au commencement d’avril, les résolutions du roi étaient arrêtées : le plan d’évasion et de négociation ultérieure avec l’Europe était tracé. La lettre du comte de Fersen au baron de Breteuil porte, je