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HISTOIRE SOCIALISTE

après, au commencement de février, et avant même que l’alerte du 28 février puisse fournir au Roi un semblant d’excuse, des négociations sont engagées, des combinaisons sont poussées, pour écraser la Constitution sous le poids des armes étrangères. Perfidie, mensonge, trahison.

Le peuple immuablement se méfiait : et après la journée du 28 février Marat redouble de zèle et de colère à lui prêcher la vigilance, à dénoncer les préparatifs de fuite. Il s’indigne que la municipalité fasse chanter un Te Deum pour le rétablissement du Roi.

« C’est une chose bien étrange, écrit-il le 20 mars, que le zèle fervent de la municipalité parisienne à sacrifier le bien des pauvres pour faire chanter un Te Deum, en actions de grâces de l’heureux retour de l’appétit qu’avait fait perdre au Roi une violente indigestion causée par le déplaisir de voir houspiller sous ses yeux la noire bande des conspireurs : a-t-elle ordonné un Te Deum et des illuminations pour l’heureuse découverte de la conspiration qui devait éclater le 28 février et qui aurait infailliblement plongé la France dans les horreurs de la guerre civile ? »

Il revient à la charge le 28 mars, et comme d’habitude, il mêle à des accusations, à des dénonciations passionnées et fausses des vues étrangement perçantes. Il se trompait à fond quand il accusait Bailly et Lafayette (condamné à mort par la Cour) de préparer l’évasion du Roi ; mais il devinait, tout en lui donnant des proportions qu’elle n’avait pas encore, l’intrigue nouée avec l’étranger :

« La cour, les ministres, les pères conscrits, le général, l’état-major et les municipaux ne cherchent qu’à pousser le peuple à l’insurrection afin d’avoir un prétexte de publier la loi martiale et d’égorger les bons citoyens. Et ce moment n’est pas éloigné.

« Une armée ennemie de 80,000 hommes campe sur nos frontières, presqu’entièrement dégarnies de troupes françaises, et où le peu de régiments étrangers qui s’y trouvent en garnison ont ordre de livrer passage aux Autrichiens.

« Les gardes nationaux des départements, qui pourraient leur disputer l’entrée dans le royaume sont sans armes, sans munitions et soumis à des directoires totalement composés de suppôts de l’ancien régime. »

« A l’instant que la famille royale sera enlevée, l’ennemi s’avancera vers Paris, où l’Assemblée nationale et la municipalité traîtresse proclameront la soumission au monarque. Une partie de la garde nationale, les alguazils à cheval, les chasseurs des barrières, les gardes des ports, et quarante mille brigands cachés sous nos murs se joindront aux conspirateurs pour égorger le peuple ; et les amis de la liberté sans armes, sans argent, seraient forcés de se soumettre à l’esclavage pour échapper à la mort. »

« Ces scènes d’horreur commenceront dès que le Roi, sa femme et son fils auront pris la fuite : ainsi c’en est fait de nous pour toujours si nous les