Page:Jaurès - Histoire socialiste, I.djvu/676

Cette page a été validée par deux contributeurs.
666
HISTOIRE SOCIALISTE

« La propagande, ce gouffre infernal, a partout des agents cachés ; déjà en Espagne, en Savoie et en Suisse il y a eu de petits mouvements ; en Brabant, ils en excitent d’assez considérables, et on a même essayé de séduire les troupes de l’Empereur en leur vantant la liberté française et en leur offrant jusqu’à un louis par homme. Le juif Ephraïm, émissaire de M. Hertzberg, de Berlin (le ministre des affaires étrangères) leur fournit de l’argent ; il n’y a pas longtemps qu’il a touché encore 600,000 livres. Toutes ces tentatives, souvent répétées, peuvent enfin réussir.

« C’est un exemple dangereux s’il restait impuni, et il est de l’intérêt de tous les souverains de détruire, dans ses principes un mal qui sans cela pourrait, gagner, et dont les progrès sont effrayants par leur rapidité. Sans ordre, il ne peut exister ni société, ni sûreté, ni bonheur ; les rois en sont les dépositaires-nés. Ils doivent conserver leur autorité pour le maintien de cet ordre et pour le bonheur des peuples.

« Voilà, Sire, quelle est ma manière d’envisager la position du Roi de France et du royaume ; elle est effrayante, et peut influer sur le reste de l’Europe. Les remèdes à tant de maux sont difficiles, mais non pas impossibles ; je serais trop flatté si V. M. m’approuve. »

« La constance et le courage du roi, et surtout de la reine, sont au-dessus de tous les éloges ; plus on voit cette princesse, et plus on est forcé de l’admirer. Ses ennemis, même sont obligés de lui rendre justice et, quoi qu’on puisse dire à V. M., je puis avoir l’honneur de l’assurer que le roi de France sent vivement sa position mais tout lui fait, un devoir de la dissimuler ; après toutes les fautes qui ont été faites, et la manière indigne dont il a été servi ou plutôt trahi, il ne lui reste d’autre parti à prendre que ta patience et la dissimulation ; tout autre ne ferait en ce moment qu’exposer inutilement ses véritables serviteurs et lui-même, jusqu’au moment où il pourra agir.

« V. M. sait déjà les détails des scènes scandaleuses ou indécentes qui ont eu lieu au Château le 28 du mois dernier (l’affaire des chevaliers du Poignard). J’ai envoyé hier au baron de Taube deux brochures qui pourront en instruire V. M.

« La conduite de cette garde qui était en insurrection, mais surtout celle de M. de Lafayette, a été indigne ; c’est l’arrêt de sa mort qu’il a signé là, car il me paraît impossible que jamais la noblesse lui pardonne les propos qu’il a tenus, ni l’ordre qu’il a fait afficher le lendemain et qui est rempli de faussetés. Il a répondu au jeune M. de Duras, premier gentilhomme de la Chambre, qui lui demandait si c’était par son ordre qu’il y avait dix ou douze soldats devant sa porte : « Oui, monsieur, et s’il était nécessaire, j’en mettrais un même dans votre lit. »

« Heureusement, je n’étais pas au château, car je ne sais pas jusqu’à quel point j’aurais supporté l’affront que ces messieurs ont essuyé. Ce n’est pas que j’approuve en tout leur conduite. Leur attachement, qui ne veut point se