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HISTOIRE SOCIALISTE

verner avec fermeté dans le sens de la Révolution et qu’ils affaiblissaient le pouvoir exécutif pour fournir au Roi des prétextes à modifier la Constitution. « Le pouvoir exécutif fait le mort pour faire croire que vous l’avez détruit », s’écria Lameth. Cazalès, avec sa brillante éloquence méridionale démontra l’impuissance, le néant des ministres : il leur appliqua le vers du Tasse : « Ils allaient encore mais ils étaient morts. » La vérité est que Necker, l’homme le plus considérable du ministère, était devenu inutile depuis que la vente des biens d’Église et la création des assignats avaient substitué de larges ressources révolutionnaires aux pauvres conceptions de finance où il s’épuisait orgueilleusement.

Plus qu’inutile, il était fastidieux par ses avis stériles, par ses remontrances vaines, par les aigres conseils de l’impuissance hautaine à la vivante et agissante Révolution. Il partit, honni de tous les côtés, et retiré dans son domaine de la Suisse, il se lamenta sur un mode ridiculement shakespearien. Dans ses mémoires il se compare au roi Lear, abandonné par ses filles ingrates : sa fille la Révolution le raillait et le chassait presque avec mépris. O vanité humaine ! La Révolution, fille de Necker !

Au bruit mélancolique du vent dans les grands arbres de la montagne, il berçait ses ridicules pensées.

Tous les autres ministres, à l’exception de Montmorin ménagé par la gauche, se retirèrent aussi : Necker avait été remplacé par Lambert, puis par Delessart. Fleurieu succéda à la Luzerne. Duport du Tertre prit les sceaux des mains de l’archevêque de Cicé : et du Portail, ancien officier de la guerre d’Amérique prit, à la guerre, la place de la Tour-du-Pin. Ces choix, vaguement constitutionnels n’avaient pas de signification éclatante et forte : aucun homme, parmi les ministres n’avait assez d’autorité pour diriger le Roi dans la voie de la Révolution ; et le Roi continua sa politique toute personnelle. Sa conscience religieuse timorée et étroite était troublée par toutes les mesures de l’Assemblée contre l’Église : son orgueil de roi souffrait beaucoup plus que ne voulait l’avouer son apparente bonhomie des restrictions apportées à son pouvoir traditionnel.

Enfin la surveillance inquiète du peuple l’irritait. La Reine moins dévote mais plus passionnément orgueilleuse, souffrait cruellement de la vie diminuée et retirée à laquelle elle était réduite : son âme ardente et active, dissipée avant la Révolution dans les fêtes et les intrigues, se contractait amèrement et cherchait une issue, une voie de salut, un moyen de liberté pleine et de revanche.

Quel drame humain profond, si on pouvait suivre au jour le jour, en cette année 1791, le va et vient, les incertitudes et les revirements de ces pensées inquiètes, dans la prison des Tuileries ! De la reine au roi peu de sympathie : elle le trouvait faible et de médiocre conseil. Elle n’osait non plus se confier à la sœur du Roi, Mme Élisabeth : celle-ci tenait pour la tac-