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HISTOIRE SOCIALISTE

sein ; elle doit en établir à leur place qui connaissant mieux l’esprit de la religion qu’ils sont chargés d’enseigner, n’en fassent pas un instrument funeste pour anéantir l’autorité légitime et renverser la base sur laquelle Dieu lui-même a planté les fondements de l’ordre social ».

Voilà des prêtres qui auraient pu aller loin avec ce : « il importe à la société », car peut-être lui importe-t-il que des doctrines de salut surnaturel, ne détournent pas vers des joies invisibles et extra-sociales l’activité des hommes.

La société n’est plus faite pour la religion : la religion est faite pour la société entendue dans le sens le plus humain : et si les conditions même économiques, même climatériques de la vie sociale autorisent le pouvoir civil à modifier, à façonner sur sa mesure l’organisation religieuse, pourquoi le dogme échapperait-il à cette prise sociale et ne devrait-il pas s’adapter aux exigences, aux besoins de la société civile ?

Et puis, auraient pu demander des philosophes, d’où vient que le clergé ait été ainsi conduit à une politique d’égoïsme, de paresse, d’orgueil ? et que valent maintenant des principes qui n’ont pu préserver des égarements les plus anti-sociaux ceux-mêmes qui les enseignent ?

Qu’on ne réponde pas que la religion est sujette à se corrompre, mais qu’elle prouve précisément sa vertu interne en se régénérant, Car si, du temps de la Réforme, c’est au nom de l’Évangile et de la Bible, et avec une inspiration religieuse, que Luther dénonçait et transformait l’Église, maintenant, et dans la théorie même de l’abbé Coveleau, c’est du dehors que vient le principe même de régénération : c’est de la philosophie du siècle, c’est de son esprit d’humanité, c’est du caractère social qu’elle imprime à toute vérité que vient la réforme de l’Église.

En fait, la lettre de l’abbé Coveleau pourrait s’appeler la déclaration des Droits de l’homme sur le christianisme même. Oui, admirable puissance de la philosophie du siècle, puisqu’elle pénétre ainsi des esprits d’Église et les induit à ce christianisme naturaliste et social qui n’est plus qu’une forme de l’activité humaine.

Étrange alternative du christianisme, obligé ou de se raidir contre l’esprit du siècle et de contracter, pour se tenir debout, l’immobilité et la rigidité de la mort ; ou s’il garde la fluidité de la vie, de se dissoudre dans la raison humaine et dans l’immense mouvement social !

Cette lettre, qui était comme un mémento de catholicisme constitutionnel et révolutionnaire, fut distribuée en mars et avril à tous les prêtres qui avaient prêté le serment : elle les fournissait d’arguments et aussi de courage contre le fanatisme soulevé : c’est le moment même où paraissaient les Brefs du Pape.

En une brochure plus populaire, le curé de Saint-Vincent-du-Fort-du-Lac, Benjamin Gaule, essaie lui aussi de répondre. Il proteste que le Bref du