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HISTOIRE SOCIALISTE

Les mulotins, c’est-à-dire les frères quêteurs, au moyen de lanternes magiques, faisaient passer sur les murailles des chapelles des ombres mystérieuses, des apparitions sacrées qui exaltaient ou terrorisaient les paysans. Quand ces moyens grossiers de la plus vile superstition ne suffisaient pas, les nobles, et grands propriétaires intervenaient pour contraindre leurs paysans à suivre les offices des prêtres rebelles ou déserter ceux des prêtres constitutionnels. Ceux-ci, contre tout ce déchaînement, tâchaient de tenir bon.

Ils répondaient aux brochures, aux catéchismes, aux inventions et aux outrages par des manifestes, par d’autres brochures. Un des plus distingués de la Vendée, Coveleau, curé de Péault (canton de Mareuil), publia, sous le titre « Lettre à un bon ami », une lettre curieuse où il y a comme une application de la théorie des climats de Montesquieu à la question religieuse. Magnifique puissance de la pensée du xviiie siècle qui avait électrisé et renouvelé tous les cerveaux, même ceux que semblait figer l’immuable dogme.

Sa lettre est en même temps un acte d’accusation contre la conduite du haut clergé.

« Pour savoir qui de nous deux à tort, discutons un peu les motifs qui m’ont déterminé à faire ce serment, qui donne à votre tendre amitié des alarmes pour mon salut. Vous en trouverez une partie dans la misérable conduite qu’a tenue le clergé à l’Assemblée nationale ».

« Voyez d’abord les efforts qu’il a fait dès l’ouverture des États généraux pour s’opposer à la réunion des Ordres… L’opinion publique était formée depuis longtemps à ce sujet et cette opinion était fondée sur la base immuable de la justice.

« L’orgueil et l’intérêt seuls pouvaient lutter contre elle… Était-ce aux ministres d’un Dieu qui n’a jamais prêché que l’abnégation de soi-même et le mépris des choses de la terre à réclamer la prétention de donner des lois à un empire dont ils ne supportaient pas les charges ? Si, dès le commencement ils eussent fait une démarche que toutes les considérations divines et humaines leur commandaient, la noblesse eut été forcée de suivre aussitôt leur exemple ; la séance royale n’eût point été exécutée ; le blocus de Paris et l’enlèvement du Roi n’eussent point été projetés : le clergé eût sauvé la France des malheurs qui ont été la suite funeste de ces deux époques désastreuses. Il ne l’a pas fait, il a donc été bien aveugle ou bien coupable ».

« S’il a combattu avec tant d’acharnement pour soutenir les prétentions de son amour-propre, on juge bien que ses efforts ne se sont pas relâchés lorsqu’il a été question des intérêts de sa fortune. Aussi quels cris n’a-t-il pas poussés lorsqu’il fut question de détruire ses privilèges pécuniaires ?…

« Vous me direz peut-être que le clergé lui-même avait offert le sacrifice de ses privilèges lorsqu’il était encore séparé en Ordres, et que cette offre avait été devancée par le vœu de tous les ecclésiastiques dans les bailliages !Mais à qui persuaderez-vous que cette offre a été sincère ? »