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HISTOIRE SOCIALISTE


On devine le parti que les évêques réfractaires allaient tirer des brefs du pape. Pourtant le pape allait plus loin que les tacticiens de la contre-révolution ne l’auraient désiré.

Dans un consistoire secret du 7 mars il n’avait pas seulement attaqué la Constitution civile. Il avait dénoncé comme impie, la liberté accordée par la Révolution aux non-catholiques.

C’est la tolérance même qu’il condamnait comme diabolique, et ce sentiment perçait dans le bref du 10 mars.

De plus il paraissait imprudent aux évêques réfractaires de condamner ouvertement la vente des biens d’Église et d’animer ainsi contre les réacteurs tous les acquéreurs déjà nombreux de biens nationaux. C’est ce que le rusé évêque de Luçon, de Mercy, indique bien dans sa lettre du 27 mars, à Monsieur Noirot, curé de Sallertaine, par Challans (Bas-Poitou).

« J’ai baigné de mes larmes, mon cher curé, votre lettre et la déclaration qu’elle contenait, j’en ai répandu de joie sur ceux de vos confrères que j’ai vus soussignés, et de douleur sur ceux qui se sont séparés de vous. Espérons que bientôt ils reconnaîtront leur erreur et que nous les verrons revenir à l’unité ».

« Je ne reviens pas de la désertion de tous les prêtres de l’île de Noirmoutier, jamais ma confiance ne fut plus cruellement trompée. Mais il s’en faut que je les regarde comme perdus pour moi et pour l’Église : ils nous reviendront, j’en suis sûr, je le demande avec de trop vives instances au Père des miséricordes ; ils verront et vous verrez avec eux le Bref que le Pape vient d’adresser à Monsieur l’archevêque de Sens, et ils ne douteront plus de la façon de penser du chef de l’Église ; ils se convaincront qu’il est uni de sentiments avec les évêques de France, et que la doctrine que nous avons annoncée et défendue est véritablement celle de l’Église.

« Le Pape a enfin répondu au Roi et aux évêques de l’Assemblée qui ont signé l’exposition des principes, et jamais notre doctrine ne fut plus solennellement canonisée.

« Mais le Bref, extrêmement volumineux renferme des dispositions qui, dans les circonstances pourraient avoir des inconvénients ; d’ailleurs il a été fait dans un moment où les choses étaient bien différentes de ce qu’elles sont aujourd’hui, et peut-être que par prudence nous ne le publierons pas avant d’avoir proposé au chef de l’Église nos observations et qu’il se soit expliqué sur les circonstances du moment ».

Le Bref du Pape n’eut pas sur l’ensemble du clergé l’effet foudroyant qu’on pourrait imaginer. Le jansénisme avait depuis un siècle habitué le clergé à lutter contre Rome, à ruser avec la papauté, à n’accepter ses décisions et communications qu’avec toute sorte de restrictions, de commentaires et de chicanes.

Les prêtres assermentés contestèrent l’authenticité de la Bulle papale :