Page:Jaurès - Histoire socialiste, I.djvu/656

Cette page a été validée par deux contributeurs.
646
HISTOIRE SOCIALISTE


Mais quand ils s’aperçurent que les offices célébrés par les non-jureurs devenaient de véritables rassemblements de guerre civile contre la Révolution, ils se portèrent en masse aux offices des prêtres constitutionnels.

L’évêque de la Rochelle, de Goucy, chapelain de la reine, se jeta passionément dans la lutte.

L’essentiel, pour l’Église réfractaire, était de maintenir en fonction les prêtres insermentés ; et de les aider à vivre, leur traitement supprimé, sans demander aux paysans le moindre sacrifice.

Si la Vendée fut, à quelques égards, un mouvement « populaire », si de simples paysans, de simples artisans y jouèrent un grand rôle, ce fut un mouvement d’égoïsme populaire, d’égoïsme paysan. Prendre de toute main et ne rien donner, sera la véritable politique des masses paysannes vendéennes : aucun haut esprit de sacrifice n’était en elles : et si elles risquaient parfois leur vie, c’était pour des avantages matériels, qui valaient à leurs yeux plus que la vie.

Les grands chefs du mouvement comprirent bien qu’il fallait ménager d’abord et exploiter ensuite ce fond et ce tréfond d’égoïsme. Ils se gardèrent bien de faire appel à la bourse des paysans en faveur des prêtres. C’est l’évêque qui se procura, sous forme d’avance sur les revenus de son évêché, soixante mille livres. Les nobles s’engagèrent à assurer le traitement des réfractaires. Les missionnaires et les sœurs de Saint-Laurent-sur-Sèvres, qui parcouraient sans cesse l’ouest, continuèrent, il est vrai, à quêter : mais ils assuraient aux paysans qu’il fallait organiser des caisses de secours et de propagande pour défendre le pays contre les révolutionnaires. Ils commençaient à leur inoculer l’idée que la Vendée devrait se suffire, vivre de ses ressources et refuser son concours à la nation. Une fermentation aigre et basse de fanatisme et d’égoïsme se propageait.

Mais un nouveau coup retentissant allait être porté par l’Église à la Révolution. Le pape prenait parti. Le 10 mars 1791, il adressait à son Excellence, M. le cardinal de la Rochefoucauld, M. l’archevêque d’Aix et aux autres archevêques et évêques de l’Assemblée nationale de France un bref où il condamnait violemment la constitution civile. Il prétendait que l’Assemblée s’était attribué la compétence et la puissance spirituelle. Il affirmait que la consécration canonique instituée par elle sans l’intervention de la papauté n’avait point de valeur. Il protestait contre la dissolution des ordres religieux. Il protestait aussi violemment contre la saisie des biens d’Église. Et il contestait ainsi, il niait toute la Révolution.

Son bref du 15 avril était une condamnation nouvelle de toute l’œuvre révolutionnaire. Et de plus le pape y déclarait nettement les élections des prêtres constitutionnels illégitimes, leur consécration sacrilège, et suspens de toutes fonctions ecclésiastiques, les consacrés et les consécrateurs. C’était la proclamation officielle du schisme.