Page:Jaurès - Histoire socialiste, I.djvu/655

Cette page a été validée par deux contributeurs.
645
HISTOIRE SOCIALISTE

des usurpateurs sans autorité, et que les sacrements administrés par eux étaient sans effet ou même étaient une parodie sacrilège. Cela jetait un trouble immense.

En Vendée, comme on le voit dans l’admirable recueil de documents publié par M. Ghassin, la résistance prend dès le début des allures de guerre civile et religieuse.

A Fontenay-le-Comte, le 21 janvier 1791, les prêtres de la ville déposent à la mairie un cahier où leurs déclarations étaient résumées en cette formule : « Je jure d’accepter la Constitution, excepté dans les droits qui dépendent de l’autorité spirituelle. »

L’Assemblée nationale avait exigé le serment « sans préambule, explication, ni restriction ».

La municipalité de Fontenay-le-Comte, quoiqu’assez disposée à transiger, ne put donc accepter la formule restrictive des prêtres : un seul des trois curés, celui de la paroisse de Saint-Nicolas se soumit. Le doyen de Notre-Dame, Bridault, le curé de Saint-Jean, Sabeurand, refusèrent le serment et expliquèrent leur refus devant le peuple en des prédications passionnées. Les autorités civiles timides, hésitantes, ne sévirent point, et l’ébranlement se propagea. D’ailleurs elles n’avaient pas en mains de moyens légaux de répression.

Dès que les nobles de l’ouest virent ce commencement de rébellion cléricale, ils espérèrent en tirer profit pour la contre-révolution. Ils affectèrent soudain des préoccupations religieuses auxquelles la noblesse voltairienne du xviiie siècle avait été jusque là étrangère. Ils essayaient de piquer d’honneur les curés. « On verra maintenant, criaient hobereaux et Demoiselles, si les curés seront assez impies pour renoncer à la cause de Dieu. »

Les nobles se pressaient dans les églises pour manifester impunément sous le couvert de la religion, pour obliger les curés à se compromettre, à s’animer, sous l’influence de l’auditoire contre-révolutionnaire qui les inspirait et les jugeait.

Un observateur contemporain, Mercier du Rocher, écrit dans ses notes : « Les églises presque vides naguère, se remplissaient à tous les offices de ci-devant nobles qui avaient passé leur vie dans la débauche la plus effrénée, s’approchant souvent des sacrements, eux qui avaient dans tous les temps traité ces cérémonies de farces ridicules. »

Comme des incroyants entrent dans une église pour s’abriter d’un orage, soudain les nobles y entraient pour s’abriter de la Révolution.

Les révolutionnaires, les patriotes n’avaient pas d’abord pris parti : ils avaient, au début, tenté de dire, avec un certain dédain : Querelle de prêtres, comme on disait : Querelle de moines : et leurs femmes, menées par l’habitude, les conduisaient aussi bien à la messe du non-jureur qu’à celle du jureur et quelquefois de préférence.