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HISTOIRE SOCIALISTE

non sans raison, comme la suite de tout le mouvement où ils étaient engagés, et, soutenus d’ailleurs par des souvenirs du jansénisme, lequel n’avait point dédaigné le cartésianisme, ils se firent une sorte de philosophie religieuse semi-rationaliste.

Le curé Berthou a deux religions, la religion de l’Évangile, la religion de la liberté.

Oui, combinaison fragile : mais qu’on se figure que dans un grand nombre de paroisses retentissaient ces appels des prêtres jureurs en faveur de la Révolution. Qu’on se rappelle qu’au même moment et au plus fort des luttes passionnées soulevées dés le début par la Constitution civile, avaient lieu les ventes des biens d’Église, qu’une prédication unanimement hostile du clergé aurait peut-être empêchées : on comprendra les services que la Constitution civile, divisant l’armée d’Église, rendit à la Révolution en lui permettant de gagner du temps.

Mais l’opposition était déjà formidable. Beaucoup de prêtres refusaient le serment. Ils entraînaient à leurs offices une partie des fidèles. Les prêtres non-jureurs raillaient avec âpreté les cérémonies nouvelles d’élection et d’investiture semi-chrétienne, semi-laïque :

« On avait, dit l’un d’eux, placé dans l’église Notre-Dame, entre les autels de la Sainte Vierge et de Saint Denis, un peu en avant, un autel à l’antique, élevé sur deux ou trois marches, de forme carrée, de trois pieds et demi de hauteur et de trois pieds de largeur et de profondeur.

« Cet autel était orné d’une corniche et décoré de peintures sur les trois faces : à celle de devant, était une couronne de chêne, renfermant en inscription : Dieu, la loi, le roi. A la face droite, qui était du côté de l’autel de la Sainte Vierge, on voyait une couronne civique semblable à la première, qui environnait une massue surmontée du bonnet de la liberté : A la face gauche, un faisceau d’armes était entouré d’une couronne semblable : aux deux côtés étaient deux candélabres !

« Le tout paraît avoir été fourni par les Menus, et tiré de la décoration d’Iphigénie !

« M. Bailly, maire, était accompagné, le 16, de MM. Hourmel et Tassin, banquiers de la religion prétendue réformée.

« Quelle jouissance pour eux de voir cette foule de prêtres et de moines qui les environnaient se rapprocher de cette réforme repoussée avec horreur depuis si longtemps ! Il faut avouer que les Rabaud et les Barnave ont bien mérité de leur secte. Mais nous en verrons bien d’autres, Français. »

Oui, et ils en avaient déjà bien vu d’autres au temps où c’étaient les maîtresses du roi Louis XV qui disposaient, en somme, des bénéfices et des évêchés. Mais ce qui était plus grave que ces railleries, c’est que les prêtres non-jureurs essayaient de démontrer aux croyants que les nouveaux évêques, les nouveaux curés n’étaient pas régulièrement investis, qu’ils n’étaient que