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HISTOIRE SOCIALISTE

pu laisser des doutes. Un mot aurait pu fixer toutes les incertitudes et ce mot n’a pas été dit… »

« Habitants d’une province qui fut, pendant plus d’un siècle, le théâtre des querelles et des dissensions religieuses, qui plus que nous a droit d’en redouter les tristes effets ? Quelle province du royaume a eu davantage à gémir sur les suites terribles de la diversité des cultes publics… La paix, la concorde, un jour plus pur ont succédé à ces temps funestes, à ces siècles d’horreur. Puisse cette tranquillité, cette union n’être jamais troublée par une diversité de culte que nos mœurs ne nous permettent pas d’envisager sans terreur ! »

« Ah ! loin que nos désirs appellent la punition sur la tête de nos frères errants, nous volerions, s’ils étaient menacés, nous placer entre eux et les peines qu’on voudrait leur infliger. Nous applaudissons à tout ce qui a été décrété pour assurer leur état civil, leur liberté de croire et de penser. Que les consciences soient libres ; nous détestons toute violence qui aurait la croyance pour objet ; notre religion dédaigne les hommages forcés ; celui d’un cœur libre et persuadé est le seul dont elle s’honore… »

« Mais en demandant que personne ne soit traîné malgré lui aux pieds de nos autels, nous demandons avec non moins d’instance comme citoyens et comme catholiques, qu’il ne soit pas élevé autel contre autel, et qu’en laissant à tout particulier la liberté du culte privé ou domestique, l’Assemblée nationale déclare la religion catholique la seule religion de l’État et défende expressément tout autre culte public et solennel. »

C’est un monument d’intolérance hypocrite et doucereuse. Les Chanoines de Luçon veulent empêcher le retour des guerres de religion entre protestants et catholiques : et comment ? Est-ce en demandant à la loi de protéger efficacement la liberté des uns et des autres ? Non, c’est en supprimant pour les protestants la liberté du culte public.

Mais quel état d’esprit supposent, dans cette province et dans la plupart des provinces, des manifestations pareilles ! Le clergé avait à se défendre, la vente de son domaine était décidée ; les colères contre « les calotins » commençaient à éclater dans quelques grandes villes ; et, à ce moment même, le clergé ne craint pas de demander contre le culte protestant des mesures de rigueur. Et il ose dire, il peut dire que la liberté des cultes provoquera une agitation sanglante !

Vraiment oui, la lutte entre l’esprit de la Révolution et l’esprit de l’Église est inévitable, et on devine combien la Constitution civile du clergé va être exploitée contre la Révolution dans ces provinces de l’ouest dont le sombre fanatisme catholique était chauffé par les prêtres dès les premiers jours. On comprend ainsi que la Constituante, malgré la liberté d’esprit philosophique d’un grand nombre de ses membres, ait cru utile et même nécessaire de s’arrêter au compromis de la Constitution civile.

L’Assemblée, pour arrêter cette agitation croissante voulut frapper un