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HISTOIRE SOCIALISTE

cause sous un autre rapport : lorsqu’une construction est arrivée au premier plancher, il faut que la maçonnerie et la charpente marchent ensemble pour arriver à la couverture et, cette partie n’étant pas faite à l’entrée de l’hiver, il en résulte le plus grand préjudice pour le propriétaire par le défaut de solidité des bâtiments.

« Les ouvriers ne doivent pas être esclaves, mais lorsqu’ils annoncent une volonté nuisible à la société et une prétention injuste, la loi et la force publique doivent être employées pour les faire rentrer dans leur devoir.

« Une coalition qui force la volonté générale aujourd’hui peut demain présenter des prétentions plus exagérées ; l’Administration doit lui opposer une barrière le plus tôt possible.

« Plus de coalition ; plus de prix banal, et la concurrence fixera naturellement les intérêts mutuels.

« D’après ces considérations, les ci-devants maîtres charpentiers demandent :

1o Que la Municipalité ordonne la suppression et la dissolution de l’assemblée des ouvriers journaliers de leur profession, attendu son illégalité et les écarts où elle s’est laissé entraîner en portant atteinte aux droits de l’homme et à la liberté des individus ;

2o Qu’elle déclare nuls et comme non avenus tous arrêtés, délibérations, règlements, lois et condamnations que cette assemblée s’est permis de faire ou de prononcer de quelque manière et contre qui que ce soit ;

3o Qu’elle se fasse rapporter les registres des dites délibérations pour en faire l’examen et statuer ce qu’elle avisera ».

Comme on voit, c’est formel et même cynique. La grande bourgeoisie des entrepreneurs demande la dissolution brutale des assemblées ouvrières : elle demande que des poursuites soient dirigées contre les auteurs et les chefs du mouvement, car la saisie des livres n’a pas d’autre objet. Elle prétend que la coalition des salariés fausse la concurrence, et que celle-ci doit s’exercer d’individu à individu sans que les prolétaires puissent se grouper.

Et, audacieusement, insolemment, comme si elle était sûre de son droit, elle invoque les droits de l’homme pour organiser l’oppression des salariés. C’était donc bien sur une première lutte entre salariés et capitalistes, que la Constituante se prononçait par la loi Chapelier : et il est impossible de méconnaître l’origine de classe de cette loi. C’est à la Constituante elle-même que les ouvriers adressèrent leur réponse.

« Précis présenté à l’Assemblée nationale par les ouvriers en l’art de la charpente de la Ville de Paris, le 27 mai 1791 :

« Messieurs, le 14 avril dernier, les ouvriers en l’art de la charpente, entièrement soumis aux lois, ne se sont assemblés qu’après avoir prévenu la Municipalité. Étant assemblés, ils ont invité les entrepreneurs à venir avec eux pour faire des règlements fixes relativement aux journées et aux salaires