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HISTOIRE SOCIALISTE

mesure que nous approchons de la Révolution, le mouvement s’accélère.

Dans les quinze années de paix qui suivent le traité de 1763, l’activité économique s’exalte malgré la perte de la Louisiane et du Canada, tristement cédés aux Anglais. En 1763, il est lancé à Bordeaux 22 navires jaugeant ensemble 5 250 tonneaux, et de nouveaux noms de constructeurs, Pierre Bichon, P. Bouluquet, E. Detcheverry, apparaissent. Nouveaux noms aussi d’armateurs : Foussat, Mathieu aîné, Draveman, Féger, Guilhou, Dubergier, Borie, Tenet et Duflour. Quelle force et quelle sève, et comme on sent que ces hardis bourgeois, qui suscitent et dirigent de grandes affaires dans le monde entier, voudront bientôt conduire eux-mêmes les affaires générales du pays ! Comme on sent qu’ils se lasseront bientôt de la tutelle insolente des nobles oisifs, du parasitisme d’un clergé stérile, du gaspillage de la cour et de l’arbitraire des bureaux ! Mais comme on devine aussi que, s’ils sont prêts à faire une révolution bourgeoise, même démocratique et républicaine, ils voudront une République où puisse s’épanouir le luxe de la vie comme le luxe de la pensée !

Le long des larges avenues ouvertes par les intendants royaux, ils bâtissent de splendides demeures, et ils se figureront aussi la Révolution comme une large et triomphale avenue où les ouvriers pourront passer librement et la tête haute, mais où pourra passer aussi sans embarras et sans scandale l’élégant équipage du riche bourgeois républicain. Ils répugnent d’avance au sombre jacobinisme un peu étroit et vaguement spartiate des petits bourgeois et des artisans de Paris.

De 1763 à 1778, il est lancé 245 navires d’un tonnage total de 74 485 tonneaux, ce qui représente une moyenne annuelle de 16 navires et de 4 900 tonneaux, et, parmi les nouveaux constructeurs qui surgissent à cette époque, Jullian cite, en 1766, Guibert et J. Labitte ; en 1768, Joseph Latus ; en 1772, Gibert ; en 1773, Antoine Courau ; en 1778, Thiac et Sage. C’est une poussée continue, un flot qui monte, et, sous Louis XVI, c’est comme une haute vague.

En 1778, la France, unie aux États-Unis, entreprend la guerre contre les Anglais : les hostilités suspendent un instant le travail de construction, mais il ne tarde pas à se relever et à atteindre un niveau inconnu :

En 1778, il est lancé :
7 navires jaugeant 1.875 tonneaux
En 1779,       —
24     —      5.485     —
En 1780,       —
17     —      4.760     —
En 1781,       —
34     —      16.800    —
En 1784,       —
33     —      16.130    —

Cette grande activité faisait surgir à Bordeaux de colossales fortunes.

Au xviie siècle, sous Louis XIV, le commerce bordelais était en grande partie aux mains de marchands étrangers, surtout de marchands flamands,