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HISTOIRE SOCIALISTE

« On emploie même la violence pour faire exécuter les règlements ; on force les ouvriers de quitter leurs boutiques, lors même qu’ils sont contents du salaire qu’ils reçoivent. On veut dépeupler les ateliers et déjà plusieurs ateliers se sont soulevés et différents désordres ont été commis ».

Ainsi c’est bien une organisation de classe qui s’ébauchait, un soulèvement de classe qui se préparait contre la bourgeoisie stupéfaite, et soudain menacée en son triomphe.

Et l’effervescence révolutionnaire, l’exaltation générale communiquée aux ouvriers par la Révolution bourgeoise créaient un mouvement bien plus vaste que l’ancien mouvement étroit et particulariste du compagnonnage. Les ouvriers aussi avaient leur Fédération.

Chapelier a entrevu ce qu’il y avait de nouveau dans cette agitation ouvrière : « Ces malheureuses sociétés, dit-il, ont succédé à Paris à une autre Société qui s’y était établie sous le nom de Société des devoirs.

« Ceux qui ne satisfaisaient pas aux devoirs, aux règlements de cette Société étaient vexés de toute manière ».

Chapelier, au moment même où il prétend que ces assemblées ouvrières ont pris la suite du compagnonnage, constate cependant qu’elles sont autre chose. Il a donc pressenti l’ampleur nouvelle de l’action ouvrière dans la France unifiée.

Un très curieux discours du duc de La Rochefoucauld, prononcé le 16 juin 1791, deux jours après le vote de la loi Chapelier, montre bien que les membres de la Constituante avaient saisi le caractère ouvrier du mouvement.

Ce discours de La Rochefoucauld, en même temps qu’il confirme ; d’une façon décisive, ce que j’ai dit plus haut de l’étonnante activité économique de l’année 1791, témoigne que dans la pensée des Constituants les ouvriers avaient voulu profiter de l’urgence et de l’abondance du travail pour forcer la main aux maîtres.

Bien mieux que Marat, le duc de La Rochefoucauld avait saisi le sens et l’intérêt économique de ces vastes coalitions de salariés. C’est à propos de la dissolution projetée des ateliers publics que parle le duc philanthrope. « Vous avez voulu attendre le moment où l’abondance du travail fournirait une subsistance assurée à ceux qui voudraient en trouver ; car si les ateliers de la capitale, aujourd’hui réduits à 20,000 par des mesures de la municipalité, renferment encore bien des hommes que l’habitude ou la facilité y conduisent, il en est un grand nombre à qui le travail est nécessaire, des pères de familles pauvres et respectables par leurs mœurs : et ce sont généralement ceux qui dans les temps d’abus, se sont montrés les plus laborieux et dont il n’est dans le cœur d’aucun de nous de compromettre un seul jour l’existence ».

« Le moment est arrivé où vous pouvez, sans cette inquiétude qui jus-