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HISTOIRE SOCIALISTE


« Signé de tous les ouvriers de la nouvelle Église Sainte-Geneviève, au nombre de 560.

« Paris, le 8 juin 1791. »

Et après avoir reproduit cette lettre terrible, Marat écrit : « On rougit de honte et on gémit de douleur en voyant une classe d’infortunés aussi utiles, livrés à la merci d’une poignée de fripons qui s’engraissent de leur sueur et qui leur enlèvent barbarement les chétifs fruits de leurs travaux. Des abus de cette nature qui privent la Société des services ou plutôt qui tentent à détruire par la misère une classe nombreuse de citoyens recommandables auraient bien dû fixer l’attention de l’Assemblée nationale et occuper quelques-uns de ses moments qu’elle consacre à tant de vaines discussions, à tant de débats ridicules. »

Certes, l’homme qui reproduisait et approuvait la lettre des ouvriers, leur plainte si douloureuse et si âpre, leur inculpation si violente contre les maîtres maçons ne pouvait être suspect de ménager les intérêts de classe de la bourgeoisie. Et on s’attend, après avoir lu le numéro du 12 juin, à ce que Marat, apprenant la loi du 14, s’écrie : « Voilà comment l’Assemblée répond aux espérances des ouvriers. Bien loin d’écouter leurs doléances, elle leur défend de s’unir pour défendre leurs pauvres salaires : et elle les livre aux grands entrepreneurs : Ce n’est pas seulement à la liberté des citoyens, c’est au pain des ouvriers qu’elle attente ».

Oui, si Marat avait vu dans le conflit des grands maîtres maçons et de leurs ouvriers un épisode de la lutte de classe commençante entre les prolétaires et les capitalistes bourgeois, c’est surtout dans ce sens, c’est comme restriction à la liberté économique des ouvriers qu’il aurait interprété la loi du 14 juin. Or, il est visible qu’elle n’est pour lui qu’un complément politique des lois qui restreignaient le droit de pétition et d’association. Voici ce qu’il écrit le 18 juin :

« En dépit de toutes les impostures des flagorneurs soudoyés, il est de fait que les représentants des ordres privilégiés, qui font naturellement cause commune avec le roi, n’ont jamais songé qu’à rétablir le despotisme sur les ruines de la liberté conquise par le peuple. Ils se trouvaient les plus faibles après la prise de la Bastille ; force leur fut de filer doux. Ils se mirent donc à faire de nécessité vertu et ils affichèrent l’amour de la justice et de la liberté, qui ne fut jamais dans leurs cœurs.

« Ils étaient perdus sans retour si les députés du peuple avaient eu quelque vertu : malheureusement ce n’étaient presque tous que des intrigants accoutumés à ramper devant les valets des ministres et la plupart de vils agents de l’autorité qui n’affichèrent d’abord le patriotisme et ne frondèrent le pouvoir que pour mettre leur suffrage à plus haut prix. Aussi se sont-ils presque tous prostitués à la Cour. Ils tenaient le dé : aussi, dès que le peuple fut un peu assoupi, commencèrent-ils par l’enchaîner au moyen