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HISTOIRE SOCIALISTE

a dit non se lève et prouve. — Laborde se levant : J’ai dit non parce que je m’aperçois que vous ne mettez pas le même soin à obtenir le silence pour M. Robespierre que vous en mettez lorsque MM. Beaumetz et Chapelier ont parlé. — Plus on est faible, continua Robespierre, plus on a besoin de l’autorité protectrice des mandataires du peuple. Ainsi, loin de diminuer l’exercice de cette faculté pour l’homme indigent en y mettant des entraves, il faudrait la faciliter ».

Comment expliquer que l’homme qui, contre les murmures et les impatiences de l’Assemblée, soutenait ainsi le droit de pétition collective de tous les citoyens n’ait pas dit un mot le 14 juin dans une question qui était en quelque sorte le prolongement économique de la première ? car le droit de coalition c’est l’action collective des pauvres dans l’ordre économique, comme le droit de pétition collective est leur action organisée dans l’ordre politique.

Évidemment Robespierre, qui dit naïvement que ce sont les pauvres qui ont fait la Révolution et qui ne voit pas l’immense mouvement économique bourgeois dont elle est la conclusion n’a pas pressenti la grande lutte de classe qui allait naître dans l’industrie capitaliste.

Sans doute la prédominance encore marquée de la petite industrie lui cachait le problème. Peut-être aussi lui semblait-il, si paradoxal que cela semble à Marx, que si les ouvriers pouvaient se coaliser pour imposer aux entrepreneurs un salaire minimum, et s’ils formaient avec les entrepreneurs acceptant ce salaire une sorte d’association contre les entrepreneurs qui ne l’acceptaient point, les corporations à peine détruites se rétabliraient par cette voie.

Je ne puis trouver une autre explication de son silence. Les journaux aussi se turent. On pourrait inférer des paroles de Marx, rappelant que Chapelier fut traité par Camille Desmoulins de misérable ergoteur, que c’est à propos de la loi du 14 juin que Desmoulins l’attaque ainsi. C’est à propos de la loi du 9 mai sur le droit de pétition que Desmoulins invective Chapelier. Il ne souffle pas mot, dans son journal les Révolutions de France et de Brabant, de la loi du 14 juin. De même, les Révolutions de Paris se bornent à donner le texte de la loi du 14 juin sans aucun commentaire.

Le silence des Révolutions de Paris à ce sujet étonne peu. Pendant le conflit entre les entrepreneurs du bâtiment et leurs ouvriers, conflit qui fut l’occasion de la loi, l’attitude du journal avait été très gênée. Il avait dit que sans doute il était bon que les ouvriers eussent un salaire convenable, mais que les maîtres devaient bénéficier aussi de l’abolition de l’octroi.

Qu’est-ce que cela signifie, sinon que les entrepreneurs pouvaient payer d’autant moins leurs ouvriers, que la vie était moins chère pour ceux-ci ? Le journal de Prud’homme n’était peut-être pas fâché que la loi rendit impossible des conflits dont la bourgeoisie révolutionnaire pouvait avoir à souffrir.

Il n’est donc pas surprenant qu’il ait secondé par son silence ce que Marx