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HISTOIRE SOCIALISTE

merveilleuse activité. À Bordeaux, l’abondante production viticole fournissait aux navigateurs et constructeurs de navires une marchandise qui se prêtait à des échanges universels. Mais le vin n’avait pas suffi. Des distilleries s’étaient fondées et les négociants bordelais exportaient l’eau-de-vie sur presque tous les marchés du monde, mais surtout aux colonies. Depuis deux siècles, bien d’autres industries avaient surgi. Le sucre brut de Saint-Domingue était raffiné en partie à Bordeaux. Seize raffineries installées dans les faubourgs, à Saint-Michel et à Sainte-Croix, sous la direction d’industriels hardis comme Mayrac, Lambert, Ravesier, Jouance, consommaient en moyenne par année, aux environs de 1740, cinquante cargaisons de sucre brut, d’environ 200 tonneaux chacune. Elles brûlaient 3.600 tonnes de charbon par an. Des faïenceries, des verreries avaient été fondées au xviiie siècle. L’activité industrielle de Bordeaux avait un caractère cosmopolite comme son commerce.

Des pavillons de toute nation se rencontraient dans le port et des hommes de toute nation trafiquaient, produisaient dans la grande cité accueillante et active. On eût dit qu’elle était le creuset où tous les hommes hardis venaient essayer leur pensée.

En 1711, un négociant de Dunkerque, Nicolas Tavern, vient tenter d’établir à Bordeaux le commerce des eaux-de-vie de grains et d’en faire ainsi l’entrepôt de la production du Nord.

C’est un Flamand, David d’Hyerquens, qui, en 1633, obtient des magistrats municipaux bordelais l’autorisation de créer une raffinerie.

C’est un autre Flamand, Jean Vermeiren, qui, le 16 mai 1645, prête serment devant les jurats comme raffineur de sucre.

C’est un Allemand, Balthazar Fonberg, gentilhomme verrier de Würsbourg, qui, en 1726, demande le privilège d’établir à Bordeaux, sous le titre de « Manufacture Royale », une verrerie à vitres et à bouteilles.

C’est l’armateur Rater, d’Amsterdam, qui devient bourgeois bordelais, noble de France et directeur du Commerce. C’est le banquier allemand de Bethman qui s’installe à Bordeaux en 1740 et qui y devient l’arbitre du crédit. Ce sont encore les allemands Schröder et Schyler qui fondent une des plus grands maisons de vins.

C’est aussi la brillante colonie irlandaise, le verrier Mitchell, les négociants William Johnston, Thomas Barton, Denis Mac-Carthy, le courtier Abraham Lauton, qui surtout de 1730 à 1740, afflue à Bordeaux et peuple le riche quartier des Chartrons.

Tous ces détails, que j’emprunte à la savante histoire de Bordeaux écrite par Camille Jullian et publiée par la municipalité bordelaise, attestent la variété et l’intensité de la vie de Bordeaux dans les deux derniers siècles de la monarchie. Pour suffire à sa puissance croissante d’exportation, des producteurs accouraient le Hollande, d’Allemagne, de Portugal, de Vénétie, d’Irlande ; il en venait aussi des Cévennes, des régions manufacturières du