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HISTOIRE SOCIALISTE

née par le décès d’une partie des actionnaires et l’extension que prendra naturellement l’établissement même. Ainsi un seul propriétaire d’action jouira un jour pour sa mise de fonds de 5 livres d’une réserve de plusieurs cent mille livres dont la nation héritera ensuite.

« Les ouvriers employés à ces travaux, auront par arrangement chacun une portion d’action qui les attachera au travail et les intéressera à la confection : ils y gagneront d’ailleurs amplement leur vie. Les fonds de cette tontine qui ne sont destinés à enrichir aucune compagnie, mais au bien général, s’arrêteront à 6 000 000 de livres, nombre suffisant pour tous ces travaux et acquisitions.

« Par cette entreprise vraiment civique on donnera une vie facile aux gens peu aisés et qui n’ont aucun moyen de se faire un sort du produit de leurs faibles épargnes, et qui, pour prix d’une vie laborieuse, passée au milieu des privations de toutes sortes, souvent même du nécessaire n’ont que la perspective de finir leurs jours dans un hôpital s’ils ne périssent pas à la fleur de l’âge par quelques maladies, suite d’un travail forcé, ou du besoin. Voilà donc 80 000 indigents sauvés de la misère et rendus à leurs enfants… Qui ne croirait qu’il aurait suffi de développer (ce projet si simple) pour le voir adopter et favorisé par les hommes auxquels le peuple a confié ses intérêts ? »

« Comment s’imaginer qu’il ait été traversé de mille manières par nos indignes municipaux ?… »

Ce projet vaut qu’on s’y arrête. Bien entendu, il ne s’agit pas ici d’en discuter la possibilité technique ou les dispositions financières. Mais sa tendance sociale est intéressante. Des ateliers, créés sur l’initiative de l’État, dont les travailleurs sont eux-mêmes les actionnaires et qui font ensuite retour à la nation, un système de tontine qui assure aux ouvriers survivants un assez large revenu, cela contient en germe le socialisme d’État tel que le comprenait Louis Blanc, la coopération ouvrière de production et les systèmes variés de mutualité.

Oh ! germe bien débile, imperceptible et confus ! Ce qui est à noter, c’est que l’idée d’association ouvrière proprement dite, de corporation ouvrière, ou comme nous disons aujourd’hui, de syndicat ouvrier, en est complètement absente. Ce n’est pas à des groupements de travailleurs que seraient confiés les ateliers : et c’est sous la forme individualiste et bourgeoise de l’action que Marat conçoit la propriété ouvrière. Mais, une question extrêmement grave s’impose à nous : il est évident que le seul ébranlement révolutionnaire bourgeois commençait à fomenter les ambitions ouvrières : et si la liberté politique fondée par la Révolution avait duré, si la souveraineté populaire, d’abord mutilée, puis complète, s’était maintenue, si le suffrage d’abord restreint et bientôt universel avait été la source de tous les pouvoirs, il est probable, il est certain, que les ouvriers, les prolétaires, auraient demandé et