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HISTOIRE SOCIALISTE

résulteront doivent se trouver au bout de 50 ans, quittes et libres de toutes actions et former un des plus beaux domaines du peuple français. Tous les départements s’empresseront sans doute de suivre l’exemple donné par la capitale, pour toutes les entreprises de cette nature que leur localité exigera. Ainsi la mise de fonds appartenant a la nation inspirera au public la plus haute confiance ».

« Pour n’avoir aucun doute sur les mœurs des ouvriers qu’on occupera, chaque section qui connaîtra ses ouvriers, les enverra avec des billets aux travaux du canal, et là il se trouvera une administration composée d’inspecteurs, intéressés à ne pas se laisser frauder par la paresse et qui sauront bien mettre à profit les effets de la bienfaisance publique. Si on craignait que tant de pauvres se trouvant astreints à un régime sévère et ne pouvant plus compter sur la mollesse ou la connivence des chefs, ne vinssent à causer des troubles, on prendra les précautions convenables pour inspecter et contenir ces nombreux essaims d’ouvriers. Ainsi on aurait à la fois et les effets de l’ordre et les fruits de la bienfaisance, et l’éloignement de la misère et l’emploi du temps et l’espoir d’une richesse certaine ; on ne trouve rien de tout cela dans l’administration actuelle des ateliers de secours ; j’en appelle à tous les bons citoyens ».

Le prospectus est éblouissant, et le candide Marat ajoute aussitôt quelques phrases approbatives. En vérité, la combinaison était ingénieuse et le grand entrepreneur qui l’avait conçue, révèle déjà le génie spécial de ceux qui plus tard négocieront avec l’État les contrats pour la construction et l’exploitation des chemins de fer. Il était assuré de placer toutes ses actions d’emblée, et à un très bon prix, d’abord parce que la ville de Paris en aurait absorbé quinze mille livres par jour et en aurait ainsi élevé le cours, ensuite, parce que cette sorte de certificat financier donné par la Ville à l’entreprise aurait comme le dit le programme, donné la plus haute confiance au public.

En second lieu, l’entrepreneur avait du coup, à sa disposition, une main-d’œuvre considérable : et il l’obtenait au rabais, avec les salaires inférieurs qui étaient payés sur les chantiers de secours : notez qu’il n’y a pas un mot dans la combinaison proposée qui indique le relèvement des salaires d’aumône au taux des salaires du travail. Ainsi par l’intermédiaire de la Ville de Paris et sous couvert de continuer l’œuvre d’assistance par le travail, le merveilleux capitaliste avait en abondance de la main-d’œuvre à vil prix. Et sous couleur de maintenir l’ordre, de ne pas gaspiller les fonds de la Ville, et stériliser la bienfaisance publique, il allait exercer sur les ouvriers un contrôle beaucoup plus rigoureux, beaucoup plus brutal que celui qu’exerçait la Ville : et il allait faire un choix parmi les ouvriers, rejetant sous prétexte de paresse et de désordre les moins valides, les moins habiles, ceux qui fourniraient le moins de travail et de « plus-value » au délicieux philanthrope. Cette annonce même d’une discipline plus rigoureuse, plus dure, était un des