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HISTOIRE SOCIALISTE

velopper et remplir toute la perfectibilité de notre sublime nature et pour combler notre double besoin d’exister avec gloire et d’exister toujours. »

Triste et imprudent amalgame ! Lier à ce point la liberté et la religion, c’est compromettre la liberté qui ne périra pas, dans la compagnie du Christianisme qui doit mourir. Mais en même temps quelle dénaturation du christianisme lui-même ! Le voilà dérivé de la raison comme la Révolution elle-même ; et si la foi est descendue du ciel, c’est comme la liberté.

Les flammes descendues sur la tête des apôtres, les rayons du soleil de juillet, tout cela se mêle en une clarté équivoque où le vrai chrétien ne discernerait certainement plus l’origine surnaturelle de sa foi exclusive et dominatrice.

Mais Mirabeau souffre réellement de cette contrainte, et bientôt il s’échappe à dire que l’Église a tout à perdre si elle essaie de démontrer que la religion est inconciliable avec la Révolution ; car ce n’est ni la raison ni la Révolution qui périront.

C’était la foudre de la pensée libre, c’était le brillant éclair du xviiie siècle qui perçait enfin la fausse nuée biblique ; l’Assemblée trouva l’adresse de Mirabeau plus compromettante qu’utile. Camus s’écria : C’est intolérable ! et le grand orateur dut descendre de la tribune sans pouvoir achever la lecture de l’adresse destinée à calmer la frayeur superstitieuse du peuple et qui soudain éclatait comme une menace à la religion elle-même.

Mais l’obligation même où était l’Assemblée de se défendre, à peine la Constitution civile votée, et son impatience aux paroles menaçantes de Mirabeau dénotent bien la force de l’obstacle et l’étendue du péril. M. Thiers, en quelques phrases d’un scepticisme narquois, attribue aux Constituants libres penseurs et philosophes une désinvolture d’esprit et un détachement dédaigneux qui n’étaient point à ce moment dans l’ordre des choses.

« Ce projet, dit-il, qui fut nommé Constitution civile du clergé et qui fit calomnier l’Assemblée plus que tout ce qu’elle avait fait, était pourtant l’ouvrage des députés les plus pieux. C’étaient Camus et autres jansénistes qui voulant raffermir la religion dans l’État, cherchaient à la mettre en harmonie avec les lois nouvelles… Sans Camus et quelques autres, les membres de l’Assemblée, élevés à l’école des philosophes, auraient traité le christianisme comme toutes les autres religions admises dans l’État, et ne s’en seraient point occupés. Ils se prêtèrent à des sentiments que dans nos mœurs nouvelles il est d’usage de ne pas combattre même quand on ne les partage pas. »

La phrase est d’une ironie souveraine et charmante ; mais historiquement il n’est pas vrai que les constituants philosophes aient cédé à je ne sais quelle condescendance pour la piété candide et obstinée des jansénistes. Ils n’étaient pas fâchés que le zèle des Jansénistes chrétiens jetât un voile de piété sur leur entreprise. Mais ce qui les préoccupait le plus, c’était de régler