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HISTOIRE SOCIALISTE

toutes les forces combinées de la servitude antique et de la liberté nouvelle ; et qui osera dire que la Révolution pouvait résister à cet assaut ?

Ou bien le peuple aurait interprété cette rupture officielle de l’État avec l’Église comme une déclaration de guerre à la religion elle-même, et dans l’état des esprits, avec les habitudes mentales de l’immense majorité des paysans et des ouvriers de l’époque, c’était une arme terrible aux mains des agents de la Contre-Révolution. Ils le savaient bien lorsqu’au mois de mai 1790 le bénédictin dom Gerle, pour arrêter la marche de l’Assemblée qui expropriait l’Église, préparait la constitution civile et créait les assignats, proposa tout à coup à la Constituante de déclarer la religion catholique « religion nationale ».

Ou bien l’Assemblée, par peur de blesser le sentiment catholique du pays, cédait, et du coup elle était comme rejetée hors de la philosophie et de la Révolution, acculée peut-être, par la force du principe une fois posé, à d’odieuses mesures d’intolérance.

Ou bien, si elle refusait, on la dénonçait comme une ennemie de la religion. Si terrible était le piège que l’Assemblée fut pendant deux séances comme incapable de trouver sa route. Et quand la force de la tradition catholique pesait à ce point sur l’esprit du peuple, on s’étonne et on s’indigne que la Révolution ne se soit pas heurtée d’emblée, jusqu’à en mourir, à l’immense préjugé chrétien du pays.

Il faut admirer au contraire qu’elle ait eu l’audace, qui était grande, de faire entrer l’Église dans les cadres administratifs de la Révolution et sous la loi commune du suffrage populaire où elle se confondait avec toutes les institutions civiles.

Comment d’ailleurs la Constituante aurait-elle pu séparer l’Église de l’État, et refuser toute subvention publique au culte au moment même où elle procédait à l’expropriation générale des biens d’Église ? Je n’entends point par là le moins du monde que le budget des cultes fut une dette de l’État envers l’Église expropriée.

Il n’y a pas de dette de l’État, de la Révolution envers l’Église. Mais je rappelle que pour faire accepter par la majorité du pays l’admirable mais audacieuse expropriation révolutionnaire qui fut le salut de la liberté, la Constituante crut nécessaire de proclamer en même temps qu’elle assumait les charges auxquelles les donateurs avaient voulu pourvoir. M. Robinet lui-même sent si bien qu’il était impossible à la Constituante, dans l’état des esprits, d’exproprier l’Église sans assurer le service du culte et l’existence des innombrables prêtres répandus dans les paroisses et qu’on ne pouvait affamer sans péril, que lui-même indique que sur le produit de la vente des biens nationaux, une somme aurait pu être réservée pour ménager la transition nécessaire.

Mais quoi ! n’était-ce pas la reconstitution de la propriété commune