Révolution elle-même pouvait et devait être ce vicaire Savoyard, qu’elle pouvait et devait, si je puis dire, monter à l’autel sans croire, mais avec le dessein de transformer peu à peu en vague croyance déiste la foi traditionnelle du peuple.
Ainsi la Constitution civile était tout à fait dans le sens du vicaire savoyard et bien loin que Rousseau poussât à une rupture violente et déclarée avec l’Église, il suggérait au contraire je ne sais quel arrangement sentimental et un peu faux qui permettait de concilier le respect ostensible et la pratique nationale de la religion avec un arrière-fond de rationalisme.
Ce n’est donc pas de la philosophie du siècle que pouvait venir aux Constituants la politique de la séparation ou la politique de la déchristianisation systématique et directe. Et l’assemblée, où les jansénistes et les légistes étaient beaucoup plus nombreux que les philosophes, était infiniment plus préoccupée d’arracher l’Église de France à la domination de Rome et d’appliquer à l’organisation religieuse elle-même le droit public de la Révolution, que de précipiter de parti pris la dissolution de la croyance chrétienne, ou de rompre tous les liens légaux de l’Église et de l’État.
D’ailleurs, l’immense majorité du peuple en 1789 et 1790, n’aurait pas souffert que l’État, rompant tout lien avec l’Église, proclamât que la religion était simplement une affaire privée. Il y a dans l’ordre religieux un abîme entre la classe ouvrière d’aujourd’hui dont une partie est délibérément incroyante, et le peuple de 1789. Ne pas reconnaître cette prodigieuse différence des esprits et juger sévèrement l’œuvre religieuse de la Constituante, c’est ignorer précisément le travail profond de la Révolution elle-même.
Le peuple de 1789 était habitué, par les siècles, à considérer qu’il n’y avait pas de vie publique possible sans monarchie et sans religion. Et il ne dépendait pas de la Constituante de défaire en une minute, l’œuvre séculaire de servitude et de passivité. Il faudra des secousses sans nombre, la fuite de Varennes, les trahisons répétées des chefs, l’invasion des hordes étrangères appelées et aidées par la Cour, pour déprendre le peuple, j’entends le peuple révolutionnaire, de la monarchie et du roi.
Il faudra des épreuves énormes, la lutte sournoise et violente du clergé contre la Révolution, sa complicité évidente avec les ennemis de la liberté et de la nation, ses crimes de Vendée, ses appels fanatiques à la guerre civile pour déprendre le peuple révolutionnaire du clergé d’abord, du christianisme même, ensuite. Et encore, l’arrachement ne fut-il que superficiel. Quiconque ne tient pas compte de cela est incapable de comprendre l’histoire, incapable aussi de juger à leur mesure ces grands révolutionnaires bourgeois qui arrivèrent en quatre années, et en passant par la Constitution civile, à un commencement de déchristianisation de cette France si automatiquement croyante depuis des siècles.
Qu’on se figure bien qu’en 1789 et 1790, pour presque tout le peuple de