voir l’instruction répandue dans le peuple, parmi les « laboureurs » il se serait effrayé sans doute à l’idée de « déchristianiser » la masse.
Émanciper les dirigeants, les classes cultivées ; oui, mais cela n’allait pas jusqu’à ébranler au fond même du peuple les racines de l’ancienne loi.
Rousseau était singulièrement ambigu. D’une part, dans le Contrat social il considère que le christianisme, parce qu’il propose aux hommes un objet, le salut surnaturel, qui est étranger aux relations de société, est antisocial. Et il proclame que le législateur a le droit de définir « et d’imposer une religion civile » c’est-à-dire des croyances en harmonie avec les besoins fondamentaux de la société civile. Cette religion civile doit se composer, suivant lui, de dogmes simples, comme l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme, et tous ceux qui n’en feraient pas profession pourraient et devraient être bannis, non pas comme hérétiques ou impies, mais comme ennemis du pacte social dont ces dogmes simples seraient la garantie.
La conclusion pratique pour la Constituante, de cette partie de l’œuvre de Rousseau eût été une double persécution dirigée à la fois contre les chrétiens et contre les athées ; la déchristianisation systématique de la France au profit d’un déisme officiel et obligatoire.
Mais qu’on y prenne garde : les politiques pouvaient espérer que peu à peu la religion chrétienne, encadrée dans la Révolution, laisserait perdre ou s’émousser la particularité de ses dogmes et qu’elle ne retiendrait bientôt qu’une sorte de déisme nuancé de tendresse évangélique. Ainsi c’est le christianisme lui-même, lentement dépouillé de sa rigueur dogmatique par le frottement même de la Révolution, qui deviendrait sans secousse « la religion civile » rêvée par Rousseau.
Par là, la constitution civile du clergé qui laissait subsister la croyance catholique, mais qui la trempait en quelque sorte dans le suffrage populaire tout imprégné de Révolution, réalisait, au fond, la pensée même de Rousseau.
Et d’autre part, Rousseau lui-même, dans le Vicaire Savoyard, a proposé aux hommes je ne sais quelle combinaison de déisme rationaliste et de christianisme sentimental : « Si la vie et la mort de Socrate sont d’un sage, s’écrie le vicaire, la vie et la mort de Jésus sont d’un Dieu ». et il essaie dans cette vague exaltation d’oublier ses doutes sur les mystères essentiels de la religion chrétienne.
Au fond, il n’y réussit pas et il est le type du prêtre qui admirant l’Évangile, se croit autorisé à continuer l’exercice du culte, sans être précisément orthodoxe. Le vicaire Savoyard communie et donne la communion sans croire à la transsubstantiation, mais il croit que l’exaltation religieuse de son âme le dispense de la foi précise.
Il y a là je ne sais quel exemple d’hypocrisie sentimentale qui a certainement agi sur plusieurs des hommes de la Révolution. Ils se sont dit que la