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HISTOIRE SOCIALISTE

« Article 3. Les religieuses pourront rester dans les maisons où elles sont aujourd’hui, les exceptant expressément de l’article qui oblige les religieux de réunir plusieurs maisons dans une seule. »

L’historien qui, dans l’Histoire générale de MM. Lavisse et Rambaud, a écrit le chapitre sur l’Église et la Révolution, a singulièrement atténué et même dénaturé le sens de ce décret :

« Le décret, dit-il, ne dissout pas les ordres religieux ; les couvents sont ouverts, ils ne sont pas fermés. La loi ne reconnaît plus comme corporations légales les congrégations où l’on prononce des vœux solennels, mais elle ne les regarde pas non plus comme illicites ; elle se borne à refuser la sanction civile aux anciennes incapacités qui frappaient les religieux. C’est ainsi que le décret fut interprété à l’époque et cette interprétation résulte jusqu’à l’évidence des nombreux décrets qui suivirent et qui déterminaient la façon dont les religieux qui optaient pour la vie commune devaient être installés et groupés dans les monastères. Sans doute le décret du 13 février n’était pas inspiré par une pensée de bienveillance pour les ordres religieux, mais il serait injuste de le présenter comme une mesure anticléricale. »

L’écrivain qui, dans tout le chapitre, témoigne tant de partialité pour l’Église et qui considère comme un acte de spoliation la sécularisation des biens du clergé a ici une préoccupation visible. Il ne veut pas que la dissolution des congrégations religieuses soit l’œuvre de la première période de la Révolution ; il aime mieux pouvoir dire que c’est seulement au plus fort de la tourmente révolutionnaire et aux approches de la Terreur que les couvents ont été fermés.

La décision de la Constituante prise ainsi dans une période calme serait un précédent trop redoutable. Et voilà pourquoi l’historien équivoque. Oui, il est vrai que la Constituante eut des ménagements très grands. Et M. Thiers, dans son Histoire de la Révolution, a à ce sujet un mot délicieux, une saillie de jeunesse révolutionnaire, que sans doute plus tard il regretta à demi :

« Comme les biens des religieux étaient supprimés, elle y suppléait par des pensions. Poussant même la prévoyance plus loin encore, elle établissait une différence entre les ordres riches et les ordres mendiants et proportionnait le traitement des uns et des autres à leur ancien état. Elle fit de même pour les pensions, et lorsque le janséniste Camus voulant revenir à la simplicité évangélique, proposa de réduire toutes les pensions à un même taux infiniment modique, l’Assemblée, sur l’avis de Mirabeau, les réduisit proportionnement à leur valeur actuelle, convenablement à l’ancien état des pensionnaires. On ne pouvait donc pousser plus loin le ménagement des habitudes, et c’est en cela que consiste le véritable respect de la propriété. »

Oui, l’Assemblée ne voulut pas jeter de force hors des couvents les religieux ou les religieuses qui y voulaient rester, mais elle alla bien au delà de