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HISTOIRE SOCIALISTE

à la tragique rencontre du christianisme et de la Révolution. La Constituante ne pouvait se désintéresser de l’organisation ecclésiastique.

D’abord, le pouvoir temporel d’ancien régime, le roi, intervenait dans la marche du pouvoir spirituel. Le pape instituait les évêques, mais c’est le roi qui les nommait. La Révolution substituait pour une large part le pouvoir de la nation au pouvoir du roi. Elle devait donc décider ce qu’elle ferait de cette part du pouvoir royal. En second lieu, un très grand nombre de religieux, liés au cloître par des vœux perpétuels que sanctionnait la loi civile, s’adressaient à l’Assemblée, en lui demandant de faire tomber leurs chaînes. Enfin, en saisissant le domaine de l’Église, la Constituante, pour donner un prétexte juridique à cette magnifique expropriation révolutionnaire, avait pris l’engagement de pourvoir au service du culte et à l’entretien des ministres. La Constituante était donc engagée à fond dans la question ecclésiastique.

Pas un instant, elle ne songea à résoudre le problème par la séparation de l’Église et de l’État. Pas un instant elle ne songea à déclarer que la religion était un intérêt d’ordre privé, et que l’État devait aux diverses opinions religieuses la liberté, mais qu’il ne leur devait que la liberté. Elle fut à la fois assez timide pour ne pas rompre les liens de l’Église et de l’État et assez hardie pour donner à l’Église une constitution civile adaptée au régime nouveau et marquée de l’esprit révolutionnaire.

En ce qui touche les ordres religieux, elle ne se borna pas à abolir les effets civils attachés par la loi d’ancien régime aux vœux perpétuels. Elle ne se borna pas à abolir « la mort civile » des religieux, et à leur restituer le droit de posséder individuellement, de tester, de succéder. Elle considéra qu’en eux-mêmes et indépendamment des effets légaux qui y étaient attachés, les vœux perpétuels étaient une atteinte à la liberté de l’homme, et elle prononça l’interdiction des congrégations qui sollicitaient ou acceptaient de pareils vœux. C’est le décret du 13 février 1790 :

« Article premier. La loi constitutionnelle du royaume ne reconnaîtra plus les vœux monastiques solennels de personnes de l’un ni de l’autre sexe ; déclarons en conséquence que les ordres et congrégations régulières dans lesquels on fait de pareils vœux, sont et demeurent supprimés en France, sans qu’il puisse en être établis de semblables à l’avenir.

« Article 2. Tous les individus de l’un ou de l’autre sexe existant dans les monastères et maisons religieuses pourront en sortir en faisant leur déclaration devant la municipalité du lieu, et il sera pourvu incessamment à leur sort par une pension convenable. Il sera indiqué des maisons où seront tenus de se retirer les religieux qui ne voudront pas profiter de la disposition des présentes.

« Déclarons, au surplus, qu’il ne sera rien changé quant à présent, à l’égard des maisons chargées de l’éducation publique et des maisons de charité, et ce jusqu’à ce qu’il ait été pris un parti sur ces objets.