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HISTOIRE SOCIALISTE

vendue. C’est là sans doute l’avantage décisif qui déterminait Talleyrand ; et c’est pourquoi aussi l’abbé Maury s’éleva avec violence, contre la motion de l’évêque d’Autun. Il l’accusa insolemment d’être le complice d’un coup de Bourse et de chercher simplement à relever le cours des créances.

Au fond, l’opération de Talleyrand aurait rendu inutile la création de nouveaux assignats ; mais peut-être eût-elle discrédité les assignats privés ainsi du gage exclusif qui faisait leur valeur. Talleyrand ne cachait pas que son opération avait pour but, non seulement de hâter la vente des biens nationaux, mais aussi de relever le crédit de l’État, en faisant des créances sur l’État un moyen direct et privilégié d’acheter les domaines mis en vente. Mais il ne cachait pas non plus que sa motion avait pour objet de transmettre les biens d’Église à la bourgeoisie riche créancière de la nation.

Bien loin de désirer comme la majorité de l’Assemblée, la multiplication des petits propriétaires pauvres il souhaitait, dans l’intérêt de l’agriculture, que les domaines nationaux fussent acquis par des propriétaires riches capables d’améliorer les fonds par des dépenses productives : « Qui peut douter, disait-il, qu’il ne soit très avantageux pour l’agriculture que les campagnes soient le plus possible habitées par des propriétaires aisés ? Et lorsque les administrateurs doivent être pris dans les campagnes, n’est-ce pas un nouveau motif pour y répandre des hommes à qui leur aisance et leur éducation auraient donné du goût pour l’étude, de l’aptitude au travail et des lumières à répandre ? »

Ainsi il se préoccupait, en cédant les terres à la bourgeoisie créancière, de constituer dans les campagnes aussi bien pour la direction politique que pour le progrès économique, de solides cadres bourgeois.

L’Assemblée n’entra pas dans ces vues ; et elle réserva aux assignats l’hypothèque des biens nationaux. Mais elle ne tarda pas à voir que toutes ces velléités de démocratie étaient peu conciliables avec la nécessité de payer vite les créanciers publics. Et en novembre 1790, elle réduisit à quatre ans et demi le délai de douze années accordé par le décret de mai pour le règlement des biens nationaux. De plus, elle dut recommander aux municipalités de ne pas morceler les corps de ferme mis en vente.

Comme l’avait prévu Polverel, dans le vigoureux discours que j’ai cité tout au début, c’est du côté de la bourgeoisie, de la richesse mobilière qu’inclinaient forcément les ventes.

Quelle fut en fait la répartition sociale des biens nationaux ? On ne pourra le dire avec une entière certitude tant que les registres de vente n’auront pas été dans tous les départements, explorés et analysés. J’ai consulté plusieurs documents : le bref relevé fait par M. Guillemaut dans son histoire de la Révolution, dans le Louhannais ; l’intéressante étude de Loutchisky sur la vente des biens nationaux dans le Laonnais et le Tarasconnais ; celle de M. Boris Minzès sur les ventes en Seine-et-Oise ; l’étude de Legeay sur les biens natio-