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HISTOIRE SOCIALISTE

été rebuté, sinon par la loi, au moins par les difficultés qu’un pouvoir municipal peut toujours opposer à des acquéreurs étrangers.

Achetés d’abord par la commune, gérés par elle et revendus par elle, les biens nationaux semblaient naturellement destinés sinon aux acheteurs de la commune, au moins à ceux de la région ; et en fait, dans tous les documents que j’ai consultés, ce sont ou les paysans de la commune, ou les bourgeois de la ville la plus voisine qui se présentent aux enchères devant les municipalités.

Une municipalité pouvait acheter des biens situés hors de son territoire et on pouvait craindre par là que certaines communes riches pratiquent une politique d’envahissement et d’accaparement. La loi para à ce danger en autorisant toutes les municipalités à se subroger pour les biens situés dans leur territoire, à la municipalité qui les aurait acquis.

Ainsi il n’y aura pas de surprise ; et toute municipalité, si elle le veut, si elle se sent capable de payer à l’État l’intérêt des obligations à souscrire, peut gérer et revendre les domaines compris dans son territoire. La décentralisation des achats et des ventes est ainsi assurée autant que possible.

Cette intervention municipale offrait donc à la nation les plus grands avantages, mais elle aurait pu être extrêmement dangereuse si les municipalités avaient été maîtresses des prix ou du moment de la vente. Elles auraient pu payer à l’État un prix dérisoire ou tout au moins insuffisant, et puis, par des délais de revente savamment calculés, réserver à quelques habiles des enchères de complaisance.

Mais toutes ces manœuvres étaient impossibles. D’abord, un prix d’estimation était fixé au-dessous duquel les municipalités ne pouvaient pas acquérir. « L’estimation du revenu des trois premières classes de biens sera fixée, dit l’article 43, d’après les baux à ferme existants, passés ou reconnus devant notaire, et certifiés véritables par le serment des fermiers devant le directoire du district ; et, à défaut de bail de cette nature, elle sera faite d’après un rapport d’experts, sous l’inspection du même directoire, déduction faite de toutes impositions dues à raison de la propriété. »

Les municipalités seront obligées d’offrir, pour prix capital des biens des trois premières classes dont elles voudraient faire l’acquisition, un certain nombre de fois le revenu net, d’après les proportions suivantes :

Pour les biens de la première classe, 22 fois le revenu net.

Pour ceux de la deuxième, 20 fois ;

Pour ceux de la troisième 15 fois ;

Le prix des biens de la quatrième classe sera fixé d’après une estimation.

Ainsi les précautions prises contre une évaluation insuffisante ou frauduleuse des biens à vendre semblent sérieuses. De même des articles de loi très précis et très fermes règlent la revente aux particuliers de façon à éviter le plus possible l’arbitraire ou écarter la collusion.