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HISTOIRE SOCIALISTE

lution, et tout ce qui serait allé contre cette loi suprême du salut de la Révolution aurait été, même sous des apparences philanthropiques, foncièrement réactionnaire.

J’admire la franchise et la netteté avec laquelle, aux Jacobins, dans la séance du vendredi 25 juin 1790, M. de Polverel posa le problème. Son exposé détruit d’avance la légende créée par une bourgeoisie médiocre, incapable de comprendre et d’avouer ce qu’il y eut de grandeur dans son égoïsme révolutionnaire, et il réduit à néant aussi, par avance, la critique superficielle de quelques écrivains radicaux, dont plusieurs de nos amis ont trop complaisamment accepté le thème. Écoutez avec quelle force il discute la conception de M. de la Rochefoucauld-Liancourt, et de M. de Cernon ; mais relevez aussi l’engagement que prenait alors envers la classe ouvrière la bourgeoisie révolutionnaire. « La nation doit-elle réserver une partie de ses biens aux pauvres ? M. de Cernon (député de la noblesse du bailliage de Châlons-sur-Marne), pense que cela doit être ainsi, et il propose de confier aux municipalités l’administration de cette partie réservée. »

« M. de Liancourt propose de réserver pour la classe indigente les portions de biens nationaux qui ne produisent aucun revenu actuel, tels que les landes et les marais. »

« Un honorable membre de la Société vient de vous proposer de distraire de la vente pour 1200 millions de biens nationaux, et de les distribuer à petits bénéfices, qui seront cultivés par des familles pauvres, et dont les fruits serviront à leur subsistance. »

« S’il fallait réserver pour les pauvres une portion quelconque, soit de landes et de marais, soit de terres déjà en valeur, ce serait aux pauvres mêmes que je voudrais en donner l’administration et la jouissance. La distribution en petits bénéfices, qui vous a été proposée, serait alors la seule praticable. »

« Mais est-ce par des distributions de terre que la nation doit venir au secours de l’indigence ? Doit-elle, peut-elle en distribuer ? N’a-t-elle pas des moyens plus efficaces pour secourir les pauvres ? »

« Toute nation doit pourvoir à la subsistance de ses pauvres. Il y a deux classes de pauvres, les valides et les invalides. Les premiers doivent vivre de leur travail, les seconds ne peuvent subsister que par les secours publics. Mais il ne faut permettre la mendicité ni aux uns ni aux autres.

« La mendicité est inutile aux pauvres valides, puisque leur travail peut suffire à leur subsistance. Elle est infructueuse ou insuffisante aux pauvres, parce que plusieurs d’entre eux sont hors d’état de pouvoir mendier et parce que les aumônes étant volontaires, leur produit est nécessairement incertain, tandis que le besoin ne l’est pas.

« Enfin la mendicité doit être proscrite dans toute société bien ordonnée,