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HISTOIRE SOCIALISTE

Article 3. — L’Assemblée nationale se réserve de désigner incessamment lesdits objets ainsi que de régler la forme et les conditions de leur vente, après avoir reçu les renseignements qui lui seront donnés par les assemblées de département, conformément à son décret du 2 novembre.

Article 4. — Il sera créé sur la caisse de l’extraordinaire des assignats portant intérêt à 5 pour cent, jusqu’à concurrence de la valeur desdits biens à vendre, lesquels assignats seront admis de préférence dans l’achat desdits biens. Il sera éteint desdits assignats, soit par lesdites ventes, soit par les rentrées de la contribution patriotique, et par toutes les autres recettes extraordinaires qui pourraient avoir lieu : 120 millions en 1791, 100 millions en 1792, 80 millions en 1793, 80 millions en 1794 et le surplus en 1795.

Encore une fois si l’on constate que sur les 400 millions d’assignats ainsi créés une partie servait à soutenir le crédit des billets de la Caisse d’Escompte et devenait ainsi indirectement de la monnaie, et que l’autre partie, remise directement aux créanciers n’était point, même indirectement, de la monnaie mais fonctionnait indépendamment des billets de la caisse, il suffira de combiner les deux caractères, et de rendre tous les assignats indépendants des billets en leur donnant un rôle de monnaie pour réaliser le type définitif de l’assignat révolutionnaire, il est donc en germe dans la création confuse et composite du 19 et du 21 décembre 1789.

La droite protesta vigoureusement contre cette première création d’assignats : elle alla même le 19 décembre jusqu’à quitter en masse la salle des séances pour essayer d’empêcher le vote, qui ne fut en effet définitif que le 21. Elle voyait avec crainte et colère la création de l’instrument monétaire qui rendrait possible la vente du domaine ecclésiastique. Pourtant à cette première rencontre le clergé n’opposa pas à cette grande création révolutionnaire la fureur désespérée qu’il déploiera quelques mois après.

D’abord l’émission de 400 millions d’assignats lui paraissait assez modérée : cette somme ne dépassait pas, elle n’atteignait même pas tout à fait « le sacrifice » offert par le clergé lui-même, pour faire la part du feu. De plus, le clergé pouvait espérer que la vente de son domaine se ferait avec une telle lenteur, et de telles difficultés que la Révolution devrait renoncer à cette ressource.

En effet, les assignats étaient des billets d’achat, permettant aux créanciers de l’État d’acheter des biens nationaux : mais les créanciers de l’État, ayant en main un titre produisant un intérêt de 5 pour cent, seraient-ils très pressés d’échanger ce titre contre des, domaines d’un moindre rapport ?

Et si les créanciers de l’État directement appelés à acheter le domaine de l’Église, hésitaient ou même se refusaient à acheter, s’ils craignaient que l’Église exerçât un jour contre eux des revendications, est-ce que tous les autres citoyens ne seraient pas découragés par cet exemple et détournés de l’opération ?