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HISTOIRE SOCIALISTE

professeurs, 13 apothicaires, 4 publicistes, 2 acteurs, 4 instituteurs.

Parmi ces savants et professeurs il en était d’illustres comme de Jussieu et Lacépède.

Il semble, quand on lit cette longue liste de marchands, d’industriels, de notaires, illustrée par quelques grands noms de science, qu’on entrevoit déjà ce règne de Louis-Philippe, où la bourgeoisie censitaire se couvrait du prestige de quelques grands noms. Mais il y a bien loin de la bourgeoisie de 1790 à celle de 1840. La première a encore sa révolution à faire et à sauver, et dans le mouvement qui la soulève, elle confond volontiers sa cause avec celle de l’humanité ; elle demande à ses philosophes, à ses légistes de nobles formules, et elle ne redoute pas les puissants éclats de parole de Danton.

Ce qui caractérise dès 1789 et 1790 la vie municipale de Paris, c’est l’intervention constante des districts, bientôt transformés en sections. Les incertitudes mêmes et les ajournements de la Constituante qui ne fixa le régime légal de Paris qu’en mai 1790 donnèrent aux assemblées élues un caractère tout provisoire ; la force directe du peuple en fut accrue d’autant ; les districts semblaient la seule autorité vraiment légale et durable. Ainsi la collaboration violente et impérieuse des sections avec la Commune légale, au 10 août, au 31 mai, se prépare jusque dans la paisible année 1790.

Chose curieuse : le maire de Paris, Bailly, constamment en querelle avec les assemblées de l’Hôtel-de-Ville, faisait souvent appel aux districts et s’appuyait sur eux. Ils le soutinrent d’ailleurs vigoureusement, et cela marque bien que même dans les districts ou sections, c’était une force révolutionnaire tempérée et moyenne qui prévalait en 1790. Mais il y avait là une première mise en œuvre des activités populaires, et dès 1790, la Constituante commençait à s’inquiéter de cette sorte de vaste Commune remuante et disséminée en tout Paris.

En mars, quand l’Assemblée discute le régime municipal parisien, le rapporteur Demeunier manifeste cette inquiétude : « Tenir les sections en activité, ce serait anéantir les responsabilités des officiers municipaux. Des délibérations populaires trop multipliées fournissent et fourniront toujours aux ennemis du bien public des moyens de semer la discorde. » Mais l’habitude était prise, et des textes législatifs ne peuvent l’abolir.

Il me semble qu’on peut maintenant se représenter avec quelque exactitude l’ensemble des forces administratives et municipales de la Révolution en 1790. C’est la bourgeoisie haute et moyenne qui dirige, mais partout ou presque partout, elle est comme pénétrée par la force populaire. En tous cas, du banquier et du riche armateur de Nantes ou de Bordeaux au boutiquier de Paris, et au propriétaire paysan il y a une immense solidarité révolutionnaire. Cette solidarité va apparaître et se nouer plus fortement encore dans la grande opération des Biens nationaux.