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HISTOIRE SOCIALISTE

et des ouvriers contre l’octroi, aussi odieux et onéreux aux uns qu’aux autres. Roland de la Platière, dans les nombreux mémoires où depuis des années il protestait contre l’octroi « cause de la misère flétrissante du peuple » et embarras pour les manufactures, avait donné, en quelque sorte, la formule du mouvement. Un instant, il parut tout emporter. Mais de nouvelles troupes sont appelées, et le consulat forme une garde de 600 jeunes bourgeois de familles riches, qui veulent réprimer le soulèvement populaire et qui le répriment en effet.

Dès ce moment, on sent qu’il y a à Lyon une force de « conservatisme » énergique, résolue, qui, s’il le faut, ira jusqu’à la contre-révolution. Mais le contre-coup du 14 juillet ranime le parti populaire. Une nouvelle garde nationale est formée avec des éléments plus nettement révolutionnaires. Elle est aussi, à sa manière, conservatrice de la propriété, puisqu’elle marche contre les bandes paysannes qui envahissaient les châteaux, mais elle entend lutter à fond contre le consulat, développer la Révolution.

Sous l’influence des bourgeois démocrates et du peuple, la journée de travail pour le cens électoral, est fixée à 10 sous, et le cens très abaissé permet à beaucoup d’ouvriers, d’artisans de prendre part au scrutin. Le consulat disparaît, définitivement condamné, et son énergique chef, Imbert Colomès, qui avait tenté de sauver contre la première houle révolutionnaire la vieille oligarchie bourgeoise, s’exile à Paris, d’où il va guetter âprement une occasion de revanche. À la fin de février, la municipalité nouvelle est constituée ; 6,000 électeurs prirent part au vote.

Si les élections écartèrent l’élément contre-révolutionnaire, il s’en faut qu’elles aient donné un résultat net. La municipalité comptait des révolutionnaires modérés, comme Palerne de Savy, ancien avocat général à la Cour des monnaies, qui fut nommé maire ; comme Dupuis, qui fut nommé procureur syndic. À côté d’eux, et comme pour attester la puissance de la tradition à Lyon, d’anciens échevins, Nolhac, Vauberet, Jacquin étaient élus ; les grandes familles bourgeoises, les Dupont, les Lagie, les Fulchiron, les Felissent, beaucoup de négociants et de gros marchands, un petit nombre de maîtres-ouvriers étaient nommés. C’était là, si l’on peut dire, le corps central de la nouvelle municipalité, elle était aussi éloignée de l’esprit oligarchique et contre-révolutionnaire que de l’esprit ardemment démocrate et « patriote ».

Les chefs du parti démocrate et patriote, les chirurgiens Pressavin et Carret, l’avocat François Bret, le médecin Louis Vitet, l’inspecteur des manufactures Roland, l’orfèvre Perret, le pelletier Vingtrinie, les négociants Chalier et Arnaud-Tizon ne sont élus que parmi les notables, et avec un nombre moindre de voix. (Voir Maurice Wahl, ouvrage déjà cité.)

Ainsi non seulement nous constatons à Lyon, dès le début, l’audace et la forte organisation des éléments conservateurs, qui seront bientôt des éléments contre-révolutionnaires ; mais, dans le parti de la Révolution, il y a d’emblée