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HISTOIRE SOCIALISTE

du régime de pillage auquel la cité était soumise, dirigeaient la résistance du peuple. Le prévôt fit jeter en prison, dans le cachot de l’île d’If, les chefs courageux, Rebecquy, Pascal, Granet. Une procédure abominablement partiale fut organisée contre eux, et ils étaient perdus sans la protestation véhémente de Mirabeau devant l’Assemblée nationale. Il revint trois fois à la charge, le 5 novembre, le 25 novembre, le 8 décembre : et il caractérisa très bien le mouvement marseillais : lutte contre une oligarchie bourgeoise avide et exploiteuse, mais lutte conduite par la partie aisée, par les éléments riches de la population.

Quand il dit : « Le prévôt, trompé, n’a fait que suivre l’impulsion du parti qui croit que le peuple n’est rien et que les richesses sont tout », on peut croire que la lutte est engagée, à Marseille, entre les riches et les pauvres.

Ce serait une étrange méprise. Mirabeau veut dire simplement que l’intérêt public est sacrifié aux combinaisons des monopoleurs. Il précise en effet : « Le temps viendra bientôt où je dénoncerai les coupables auteurs des maux qui désolent la Provence, et ce parlement qu’un proverbe trivial a rangé parmi les fléaux de ce pays, et ces municipalités dévorantes qui, peu jalouses du bonheur du peuple, ne sont occupées depuis des siècles qu’à multiplier ses chaînes et à dissiper le fruit de ses sueurs. »

Et il prend soin expressément de démontrer que ce n’est pas un mouvement de sans-propriété :

« Ne croyez pas, en effet, dit-il, que cette procédure soit dirigée contre cette partie du peuple que, par mépris du genre humain, les ennemis de la liberté appellent la canaille, et dont il suffirait de dire qu’elle a peut-être plus besoin de soutien que ceux qui ont quelque chose à perdre. Mais, messieurs, c’est contre les citoyens de Marseille les plus honorés de la confiance publique que la Justice s’est armée. »

En effet, aux élections municipales commencées le 28 janvier 1790, en conformité de la nouvelle loi, les citoyens actifs nommèrent les bourgeois qui avaient protesté avec le plus de force contre l’ancienne municipalité et notamment Omer Granet, Rebecquy et Pascal, encore détenus.

Il ne semble pas, à lire la liste des élus de la municipalité marseillaise, qu’ils représentent aussi exactement qu’à Bordeaux la grande bourgeoisie commerçante, le grand négoce. Ce sont des bourgeois, mais qui, dans l’agitation récente de la ville, se sont signalés surtout par la vigueur de leur action.

Mirabeau ne semble pas s’être préoccupé de discipliner tous ces éléments au service de la Révolution. Il craignit vite d’être débordé par le mouvement de Marseille, et pour empêcher la démocratie marseillaise d’entrer en conflit avec la royauté qu’il voulait sauver, il prit comme ami et comme instrument Lieutaud. Celui-ci, brave, tumultueux et vain, rongé de vices, et en particulier