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HISTOIRE SOCIALISTE

officiers municipaux, des quarante-deux conseillers généraux, un tiers fut pris parmi les procureurs, les hommes de loi, les avocats ; les deux autres tiers furent choisis parmi les négociants… On choisit pour général de la garde nationale, le représentant de la plus vieille, noblesse du Bordelais, l’héritier des seigneurs de Blanquefort et le descendant de Bernard Angevin Durfort de Duras. Le premier élu de l’administration municipale fut Ferrière-Colck dont la probité était célèbre dans Bordeaux. Le major général de l’armée municipale, qui devait remplacer Durfort, comme commandant en chef, était Courpon, un des plus vaillants officiers de guerre de Louis XV et de Louis XVI.

Mais ce sont surtout les négociants et les hommes riches qui vont gouverner Bordeaux. De Fumel sera remplacé, l’année suivante, par un homme dix fois millionnaire, Saige. Le président du département, Louis Jomme Montagny, est un puissant armateur.

Ce sont les Chartrons et le Chapeau-Rouge qui prennent le pouvoir. Pour nombreux que soient les avocats dans les corps élus, ils ne semblent pas jouer, dans la direction des affaires, le rôle qu’on attendrait. La plupart des futurs girondins font partie des administrations locales, mais, sauf peut-être Gensonné, ils y parlent plus qu’ils n’y travaillent.

Beaucoup de ces avocats qui ont fait la Révolution en dédaignent les charges municipales. Leur ambition vise plus haut : ils laissent aux négociants le soin de gouverner. Une aristocratie de riches, disait un libelle, va-t-elle remplacer à Bordeaux l’aristocratie des nobles ? »

Mais il semble qu’il y ait accord entre cette administration de grands bourgeois et le sentiment public de la cité. Les rares soulèvements excités dans le peuple par la bourgeoisie pauvre du « Club national » bordelais furent aisément contenus : et sans l’intervention des envoyés de la Convention, en 1793, Bordeaux aurait gardé probablement jusqu’à la fin une administration de bourgeoisie riche et modérée, sincèrement révolutionnaire d’ailleurs.

A Marseille, pendant la dernière moitié de l’année 1789 et la première moitié de l’année 1790, il y a une lutte d’une violence inouïe entre l’oligarchie bourgeoise d’ancien régime et la nouvelle bourgeoisie révolutionnaire soutenue par le peuple.

L’échevinage marseillais avait livré la ville de Marseille à des exploiteurs et des monopoleurs. En mars, le prix de la viande fut augmenté parce que des manœuvres coupables avaient assuré une sorte de monopole au grand boucher, le sieur Rebufel. Et pour se défendre contre le mouvement populaire, l’échevinage avait constitué, avec ceux des bourgeois qui bénéficiaient de la scandaleuse gestion municipale, une garde bourgeoise.

Le peuple la poursuivait de sa haine en criant : A bas les habits bleus ! Et de grands et riches bourgeois, des négociants épris de liberté et indignés