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HISTOIRE SOCIALISTE

livré aux quatre millions de citoyens actifs toute l’administration du pays ; elle n’aurait pas livré les départements, les districts, les communes, sans contrôle, sans contrepoids, sans régulateur central à tout un peuple d’artisans et de paysans si elle avait craint pour son privilège économique.

Abandonner à la seule puissance de l’élection Paris, Nantes, Lyon, Marseille, Saint-Etienne, remettre à l’élection seule non seulement tout le pouvoir administratif, mais, comme nous le verrons, tout le pouvoir judiciaire et tout le pouvoir religieux, c’était évidemment, pour la bourgeoisie révolutionnaire, affirmer une confiance superbe en sa force et en son droit. Cette constitution atteste qu’entre la bourgeoisie et le prolétariat la lutte de classe ou même la défiance de classe n’est pas encore née.

Le système administratif de la Constituante ne pouvait donc répondre qu’à un moment très rapide de l’histoire. Mais dans cette période de 1789 à la fin de 1792, il a rendu à la Révolution et à la France d’immenses services. Il a préservé le pays de l’action contre-révolutionnaire du pouvoir royal. Il a habitué les citoyens, dans les départements et dans la commune à se gouverner eux-mêmes, et il a fait ainsi, avant la République, l’éducation républicaine de la nation ; la fuite de Varennes et la journée du 10 août auraient affolé la France si elle n’avait eu déjà l’habitude, au plus profond de sa vie quotidienne, de se passer du roi. Enfin ce système administratif a fait surgir par centaines de mille les hommes dévoués, les fonctionnaires électifs, et il a ainsi constitué un filet révolutionnaire d’une extraordinaire puissance et contre lequel les forces du passé se sont débattues en vain.

C’est le régime municipal surtout qui fut décisif. D’abord il mettait en mouvement, et si je puis dire, en vibration, toutes les cellules, toutes les fibres de l’organisme social. Il y eut en effet quarante-quatre mille municipalités. Sieyès aurait voulu qu’il n’y eût qu’un petit nombre de communes, et l’Assemblée Constituante elle-même, vers la fin de son mandat, quand elle révisa la Constitution, songea à en réduire le nombre, sous prétexte que cette extraordinaire multiplicité favorisait « l’anarchie » et rendait tout mouvement d’ensemble impossible.

En fait, il était impossible de briser la vie locale des anciennes paroisses et communautés de village. Il fallait la transformer, la passionner en l’élevant à la liberté ; c’est ce que fit en décembre 1789 la Constituante. Et en favorisant ainsi le jeu des forces populaires, elle ne favorisa point, comme le dit Taine « l’anarchie spontanée », mais, au contraire, le gouvernement spontané ; c’est l’action incessante et toujours éveillée de ces municipalités innombrables qui suppléa à l’inévitable défaillance du pouvoir exécutif, maintint l’ordre, châtia ou prévint les complots, assura, par des ateliers de travail, la vie des pauvres, et multiplia les prises de la Révolution sur le pays.

Voici, dans le texte même du décret, les traits principaux de l’organisation municipale.