décrets déjà portés » sur l’éligibilité. Il n’y eut donc pas surprise, et c’est bien délibérément que, malgré quelque tapage, la gauche de l’Assemblée consentit à la restriction du droit de vote et de l’éligibilité. Peut-être n’était-elle point fâchée (autant qu’il est possible d’entrer dans le secret des consciences) d’attribuer à une habile manœuvre ou à une influence excessive du côté droit une combinaison qui dérogeait à la rigueur des principes et aux droits de l’homme, solennellement proclamés, mais qui répondait à certains instincts de prudence bourgeoise.
Aussi bien l’indignation tapageuse de Camille Desmoulins est-elle à la fois bien étroite et bien tardive. C’est quand l’esprit censitaire et oligarchique se marqua pour la première fois, c’est quand le droit de vote fut refusé à des millions de prolétaires que le pamphlétaire aurait dû s’émouvoir. Après tout il était bien plus grave d’éloigner du scrutin des millions de pauvres, que de déterminer les conditions d’éligibilité.
Qu’importait aux pauvres, ne votant pas, qu’on ne pût élire des pauvres ? Au contraire s’ils avaient voté, ils auraient bien trouvé le moyen d’exprimer leur pensée et de soutenir leurs intérêts, même, par un représentant payant un marc d’argent. Le cens d’éligibilité n’atteignait qu’une partie de la bourgeoisie révolutionnaire, il gênait à peine quelques milliers d’individus, « artistes, écrivains », intellectuels sans fortune. Le cens d’électoral rejetait hors de la cité des millions de producteurs : et la colère de Camille Desmoulins est, en un sens, aussi bourgeoise et aussi oligarchique que le vote de l’Assemblée.
Mais qu’eût-il pu répondre si, empruntant sa rhétorique violente, les millions de pauvres exclus du vote, avaient dit à ceux qui les excluaient : « Vous nous avez tués civilement : nous vous tuons physiquement » ? Oui, qu’aurait-il pu dire ? Et il était de ceux que le peuple, à ce compte, aurait eu le droit de frapper. Car, lui aussi, dès le début de la Révolution, il avait demandé leur exclusion politique. Il a écrit, au moment où les États-généraux se heurtaient à la question du vote par tête ou du vote par ordre, une brochure dialoguée où la Noblesse demande aux communes : « Mais si vous admettez purement et simplement la loi de la majorité, la loi du nombre, quelle garantie aurez-vous que la majorité déléguée peut-être par des hommes sans propriété, ne supprime point le propriété ? »
Et les communes répondent : d’abord que la propriété est de droit naturel et éminent, supérieur à toute décision des majorités : et ensuite, qu’il ne s’agit nullement d’admettre ceux qui ne possèdent point à former la majorité. Tout au plus, le républicain à la Servius Tullius, qu’était alors Camille Desmoulins, admettait-il que les pauvres fussent admis à voter dans la dernière centurie, dans celle où les prolétaires accumulés n’avaient, sous la loi romaine, qu’un droit de suffrage dérisoire, absolument disproportionné à leur nombre.