Page:Jaurès - Histoire socialiste, I.djvu/402

Cette page a été validée par deux contributeurs.
392
HISTOIRE SOCIALISTE

une injustice ? Et si Maury ne me répond pas que la représaille était juste, il se ment à lui-même.

« Quand il n’y a plus d’équité, quand le petit nombre opprime le grand, je ne connais plus qu’une loi sur la terre, celle du talion. »

Voilà de bien véhémentes paroles : mais cette violence sonne creux et même un peu faux. D’abord il est manifestement inexact que le vote sur le marc d’argent et, en général, sur le cens d’éligibilité, ait été dû à l’action exclusive ou même dominante du côté droit.

Il y eut bien quelque confusion dans le vote du 27 octobre ; la confusion tenait à la forme de l’amendement adopté, qui confondait dans une même rédaction le marc d’argent et la propriété territoriale. Aussitôt après le vote bien des protestations s’élevèrent. Mirabeau s’écria :

« Que par la manière de poser la question on venait de voter une mauvaise loi. »

Lameth déclara :

« C’est en réclamant contre l’aristocratie que vous avez préparé la régénération, et votre décret consacre l’aristocratie de l’argent. Vous n’avez pas pu mettre la richesse au-dessus de la justice : on ne peut capituler avec le principe, quand de ce principe doivent naître des hommes. »

Garât protesta aussi :

« Tous avez dans le tumulte rendu un décret qui établit l’aristocratie des riches. »

Mais j’observe qu’au fond les protestations portent surtout contre la forme absolue du décret et, en particulier, contre l’exclusion des fils de famille qui, vivant avec le père et ne payant point de contribution personnelle, étaient écartés du scrutin. C’est donc dans l’intérêt des familles de bourgeoisie moyenne et des cultivateurs propriétaires que s’élevaient surtout les réclamations.

Je n’entends point, dans ce tumulte, la voix du prolétariat rejeté de la cité. À l’accent timide du discours de Pétion et de Barère il est bien clair que la gauche elle-même n’était point décidée à accorder à tous, sans condition de cens, l’éligibilité. Elle avait bien su, malgré le côté droit, rejeter à une majorité considérable la dualité de Chambre et le veto absolu. Elle aurait pu de même si elle l’avait voulu, écarter, malgré le côté droit, malgré Maury et même Malouet, le cens d’électorat et d’éligibilité. Et qu’on n’allègue point que le 27 octobre il y eut surprise : Lameth demanda qu’une délibération nouvelle eût lieu et fût remise à quelques jours. Garât rappela que dans la présente session il y avait vingt exemples de décrets rendus dans le bruit et « épurés ensuite dans le calme ». D’ailleurs, l’Assemblée décida que « toutes choses restant en l’état étaient remises au lundi suivant, 2 novembre. » Et en effet, la question revint le mardi, 3 novembre. Mais ce jour-là personne ne rouvrit un ample débat : personne ne protesta au nom de