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HISTOIRE SOCIALISTE

plus urgentes, au mandement subversif de l’évêque de Tréguier, aux troubles de Rennes.

Le 22 octobre seulement, l’extrême-gauche de l’Assemblée intervient et oppose au projet quelques objections sommaires. Ce n’est point, il s’en faut, une grande bataille, et on dirait que c’est sans grande foi, c’est en tout cas sans vigueur aucune que les orateurs interviennent.

L’abbé Grégoire dit « qu’il redoute l’aristocratie des riches ; il fait valoir les droits des pauvres et pense que pour être électeur ou éligible dans une assemblée primaire, il suffit d’être bon citoyen, d’avoir un jugement sain et un cœur français ». La protestation de Duport a plus de fermeté et d’accent ; il songe enfin à invoquer les droits de l’homme :

« Voici une des plus importantes questions que vous ayez à décider, il faut savoir à qui vous attribuerez, à qui vous refuserez la qualité de citoyen. Cet article compte pour quelque chose la fortune, qui n’est rien dans l’ordre de la Nature. Il est contraire à la Déclaration des Droits. Vous exigez une imposition personnelle, mais cette sorte d’imposition existerait-elle toujours ? Une législature, ou une combinaison économique, pourront donc changer les conditions que vous aurez exigées. »

Duport avait déposé une motion qui organisait autrement la représentation, et dans les motifs qui accompagnent cette motion, il proteste aussi contre l’exclusion des pauvres. Mais on voit là qu’il ne va pas lui-même jusqu’au suffrage universel direct, jusqu’à la désignation directe du législateur par la totalité des citoyens. Il n’admet le suffrage universel qu’avec deux degrés d’élection, le peuple tout entier élisant, en chaque canton, une assemblée primaire qui choisit les législateurs. Je relève cependant de fortes paroles dans son exposé :

« Dans tous nos calculs politiques, revenons souvent, Messieurs, à l’humanité et à la morale. Elles sont aussi bien la base de toutes les combinaisons utiles à la Société, que le fondement de toutes les affections bien ordonnées. Rappelons-nous ici le grand principe trop tôt oublié que c’est pour le peuple, c’est-à-dire pour la classe la plus nombreuse de la société, que tout gouvernement est établi ; le bonheur du peuple en est le but, il faut donc qu’il influe, autant qu’il est possible, sur les moyens de l’opérer. Il serait à désirer qu’en France, le peuple pût choisir lui-même ses représentants, c’est-à-dire les hommes qui n’ont d’autres devoirs que de stipuler ses intérêts, d’autre mérite que de les défendre avec énergie.

« On calomnie le peuple, en lui refusant les qualités nécessaires pour choisir les hommes publics. Les talents et les vertus qui embellissent l’humanité, ne peuvent au contraire, se développer sans affecter le peuple : il est comme le terme auquel aboutissent la justice, la générosité, l’humanité…

« Il est un point où les âmes sensibles et énergiques se retrouvent, je