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HISTOIRE SOCIALISTE


Et quand après le 14 juillet se pose la question de la responsabilité ministérielle, quand Mounier, partisan décidé de la Constitution anglaise, déclare que le régime ministériel anglais est le seul vice de cette Constitution et qu’il a perdu l’Angleterre, Mirabeau lui répond avec une ironie terrible :

« Et par quel degré de latitude s’est donc perdue cette île fameuse ? » La blessure de vanité de l’homme d’État austère fut inguérissable. Aussi bien ses conceptions fondamentales étaient rejetées : il aurait voulu le système anglais des deux Chambres, avec une plus forte prérogative royale et une plus grande indépendance des ministres à l’égard du pouvoir législatif. Le système de la Chambre unique fut adopté, et le veto du Roi fut seulement suspensif.

Son humeur s’aigrit et sa santé même s’altéra. Dans le récit qu’il fait, peu après les journées d’octobre, de sa vie publique et des raisons qui ont déterminé son départ, on sent l’irritation maladive et l’inquiétude d’un système nerveux débilité.

Il essaya en vain d’organiser dans le Dauphiné le modérantisme provincial. Cette sorte de schisme ne pouvait servir que la Contre-Révolution, et les amis de Mounier hésitèrent à le suivre. Il y eut même un mouvement fédératif révolutionnaire destiné à le combattre.

Bientôt la colère grandit contre lui : il envoya sa démission à l’Assemblée nationale, et enfin s’exila en Angleterre où il écrivit un livre morose et médiocre sur les causes qui, selon lui, empêchaient le peuple français de s’élever à la liberté. Livre sans éclat, où il n’y a même pas la rhétorique fielleuse de Burke. Mounier y descend jusqu’à regretter le mouvement révolutionnaire.

« Quand on voit, dit-il, les funestes événements qui ont suivi la révélation du déficit, on regrette que ce redoutable secret n’ait pas été mieux gardé. »

Il n’aurait donc manqué à la France qu’un Calonne plus habile ? C’est à ces enfantillages que tombe le modérantisme dépité : Mounier s’emploiera encore à dénoncer Mirabeau comme l’organisateur des journées d’octobre. L’accusation est certainement fausse et même puérile. Marat, en ses dénonciations souvent frivoles ou même délirantes, ne dépassera pas en déraison « le grave et sage » Mounier égaré par la rancune et la haine. Mirabeau parlera avec un juste dédain « du pitoyable fugitif ».

Malouet, député de Riom est un homme d’un tout autre caractère. Modéré comme Mounier, il est beaucoup plus désintéressé et beaucoup plus ferme. Il avait longtemps administré de grands intérêts à l’arsenal de Toulon et à la Guyanne : son esprit était clair, mesuré et probe. Parfois il y avait dans sa parole comme des ressouvenirs des grands spectacles de la mer ou des montagnes d’Auvergne :