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HISTOIRE SOCIALISTE

s’inquiétait peu du danger que pourrait un jour courir l’Église. Elle était surtout préoccupée d’elle-même et de son fils.

Parfois, quand elle voyait qu’une seule parole d’elle suffisait à attendrir le peuple et à abolir des années de haine, elle se laissait aller, sans doute, à l’espoir de le conquérir par la magie de sa beauté humiliée et hautaine, par la grâce de son sourire attristé.

Quand Bailly, le 6 octobre au soir, répétant au peuple immense de l’Hôtel-de-Ville le bref discours du Roi, oublie de reproduire une parole de confiance, la Reine met à la lui souffler une sorte de coquetterie royale. Mais si elle rêvait parfois je ne sais quelle réconciliation avec la foule ennemie et mobile, si elle se penchait avec une sorte de curiosité sur cet abîme mouvant, plein de rumeurs de tempête et de reflets de soleil, elle ne se livrait point sans réserve.

Elle gardait toujours la Contre-Révolution et l’émigration elle-même, avec ses projets insensés, comme une suprême ressource ; et, dans son incertitude tâtonnante, elle ne fermait devant elle aucune porte de refuge.

Même incertitude dans l’esprit du Roi. Il avait de plus que la Reine des scrupules religieux ; déjà la suppression des dîmes, les projets de sécularisation des biens du clergé inquiétaient sa conscience timorée où le prêtre était si fort.

A cette date, sous les coups répétés de juillet et d’octobre, il veut visiblement essayer de faire bon ménage avec la Révolution. Mais toujours, pour lui aussi, ce n’est qu’un essai, et de là la dualité foncière et l’apparente duplicité de toute sa conduite. S’il ne réussit point, en lui témoignant confiance, à limiter la Révolution, il essaiera d’autre chose. Ce qu’il reproche à son frère, le comte d’Artois, ce n’est point d’avoir conçu le dessein absurde et coupable de séparer le Roi de la Nation, c’est de recourir trop tôt, et avant que des moyens plus tempérés aient été reconnus inefficaces, à des expédients de désespoir qu’il faut réserver pour l’heure suprême. De là sa mauvaise humeur contre son frère ; de là aussi l’absence de ces désaveux précis et secs que Mercy-Argenteau sollicite, pour couper court à la perpétuelle germination d’intrigues favorisées par une pensée molle.

Un moment, le 4 février 1790, on put croire que le Roi faisait une démarche décisive et s’engageait à fond avec la Révolution. Il se rendit spontanément à l’Assemblée et y prononça un long discours qui pouvait paraître, en certains passages, une adhésion définitive, irrévocable, à l’œuvre révolutionnaire :

« Le temps réformera ce qui pourra rester de défectueux dans la collection des lois qui auront été l’ouvrage de cette Assemblée ; mais toute entreprise qui tendrait à ébranler les principes de la Constitution elle-même, tout concert qui aurait pour but de les renverser ou d’en affaiblir l’heureuse influence, ne serviraient qu’à introduire au milieu de nous les maux effrayants