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HISTOIRE SOCIALISTE

eux-mêmes. Mais leur prise sur les hommes et les choses était bien faible encore. Il n’y avait qu’un imperceptible germe de trahison flottant au vent. Pourtant une partie de la droite de l’Assemblée était de cœur avec ces fous. Elle pratique une sorte d’émigration législative en s’abstenant de plus en plus de paraître aux séances et de participer aux votes.

Il lui semble que la Révolution, en se précipitant sans frein, se brisera. De plus, le mouvement vendéen, bien obscur et incertain encore, commence à se dessiner. La noblesse du Bas-Poitou avait une attitude contre-révolutionnaire violente.

Elle avait protesté, en termes presque factieux, contre la décision du Roi qui accordait le doublement du Tiers : le baron de la Lézardière avait essayé, sous le couvert du prince de Condé, d’organiser une sorte de Ligue de nobles, et, de château en château circulaient, dès les premiers mois de la Révolution, des mots d’ordre de guerre civile.

Entre la colonie émigrée de Turin et les conspirateurs du Marais ou du Bocage, s’échangeaient des projets insensés. Le comte d’Artois voulait de vive force, faire enlever le Roi : le soulèvement des nobles de l’ouest créerait à ce moment une diversion utile. En mai 1790, le Comité de Turin écrit à la Reine trois lettres pressantes pour qu’elle décide le Roi à se laisser enlever. Le projet avait assez de consistance pour que Mercy-Argenteau, chargé par la cour d’Autriche de conseiller Marie-Antoinette, lui ait écrit immédiatement, à la date du 15 mai, une note effrayée :

« Les projets de Turin font frémir par la légèreté avec laquelle on risque de compromettre le sort de l’État, et il faut trancher le mot, même l’existence personnelle des souverains ; sans autres mesures ni plans que des suppositions, des conjectures démenties par le bon sens, et par une marche dans laquelle on serait arrêté dès le premier pas par la cruelle catastrophe de voir toute la famille royale saisie et à la merci d’une populace furieuse dont on ne peut calculer les atrocités.

« Mais ce qui est vraiment aussi inouï que criminel c’est l’idée d’enlever le Roi de force… On n’hésite pas à dire que ceux qui ont la coupable pensée de l’enlèvement forcé du Roi et qui auraient la témérité de la tenter mériteraient d’en être punis d’une peine capitale. Ce serait une grande faute de s’expliquer avec trop de ménagements sur ce point ; il est à espérer et à désirer que la Reine fasse à cet égard quelque violence à la bonté naturelle du Roi et qu’elle l’engage à blâmer ce projet d’une manière sèche et précise. »

Visiblement, Mercy-Argenteau a peur que le Roi ne décourage pas ces projets avec une netteté suffisante : il se croit tenu d’en démontrer le péril :

« Défaut absolu d’approvisionnements, d’armes, de munitions, enfin de tout ce qui est indispensable à l’armement d’une troupe quelconque, aux moyens de la rendre mobile et de la faire subsister en campagne… Ce ta-