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HISTOIRE SOCIALISTE

Ou bien l’ébranlement général suscitait-il leur revendication ? Mais il semble que de tous côtés les ouvriers réclament. Le 18 août, « Messieurs les garçons tailleurs sont assemblés sur un gazon en face du Louvre, au nombre de trois mille environ ; et pour que personne ne s’introduisît parmi eux ils ont adopté un signe particulier : c’est de montrer le doigt mutilé journellement par les coups d’aiguille ; avec cette marque authentique, on est admis dans l’enceinte. Ils ont un orateur qui les guide ; et dans ce moment ils envoient vingt députés à la ville, dont dix sont maîtres tailleurs, ce qui ferait croire que ceux-ci ont quelque intérêt au motif qui rassemble leurs ouvriers. »

« Voici quelles sont les demandes de ces ouvriers : 1o qu’il leur soit accordé 40 sous par jour dans toutes les saisons ; 2o que les marchands fripiers n’aient plus la liberté de faire des habits neufs, car l’un des principaux griefs vient de ce qu’un de ces marchands a proposé dernièrement de n’exiger pour la façon de chaque habit complet de la garde nationale que la somme de quatre livres dix sous. La première de ces demandes, ajoutaient les Révolutions de Paris, paraîtra sans doute légitime et raisonnable ; tout homme doit vivre en travaillant et quant à la seconde, elle le paraîtra beaucoup moins dans un moment où l’on réclame la liberté et l’abolition de tous les privilèges ; aussi nous apprenons que le Comité de la Ville s’est refusé sagement au plaisir de prononcer sur l’une et sur l’autre de ces demandes ; à l’égard de la première, parce qu’il n’est point compétent ; à l’égard de la seconde, parce qu’elle heurte les opinions du jour. Si l’on eût vu, il y a six mois et davantage, trois mille individus assemblés, on eût taxé cela de rébellion et l’alarme eût fait fermer toutes les boutiques ; aujourd’hui celles des intéressés, des fripiers ne l’étaient nullement : c’est qu’il n’y avait point de sédition. »

Ai-je besoin de remarquer comme ce mouvement des garçons tailleurs est confus ? A une revendication de salaire se mêle une revendication de monopole au profit des maîtres tailleurs. Il est probable que quelques-uns de ceux-ci avaient dit à leurs ouvriers, à leurs garçons : « Aidez-nous à obtenir gain de cause contre nos concurrents, les maîtres fripiers, et nous pourrons augmenter vos salaires. » Ainsi l’esprit corporatif d’ancien régime et une réclamation ouvrière sont comme mêlés. C’est cependant une agitation prolétarienne encouragée et excitée par l’ébranlement révolutionnaire.

Le même jour, « les garçons perruquiers de la capitale s’assemblaient aux Champs-Élysées : leur premier soin fut d’envoyer une députation au district le plus prochain pour demander la permission de rester assemblés… L’objet de leur réunion était de faire cesser un abus vexatoire. Lorsqu’un garçon perruquier veut obtenir une place, il est obligé de se pourvoir au bureau de la communauté, d’une carte ou billet qu’il paie vingt sous ; en outre il se trouve contraint d’accorder trois ou six livres de gratification au clerc de ce même bureau, lequel, à son gré, donne ou refuse des places, ce qui devient onéreux et nuisible à ces garçons. En conséquence, ils demandent