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HISTOIRE SOCIALISTE

faites en leur nom : c’est celle de l’impossibilité. Toutes les fois qu’il est possible à une nation de manifester clairement ses intentions, elle doit le faire, et c’est un crime de s’y opposer.

« Pourquoi les peuples se choisissent-ils des représentants ? C’est que la difficulté d’agir par eux-mêmes est presque toujours insurmontable ; car si ces grands corps pouvaient être constitués de manière à se mouvoir facilement et avec régularité, des délégués seraient inutiles, je dis plus, ils seraient dangereux.

« Il n’y a donc, je le répète, que la seule impossibilité, l’impossibilité la plus absolue, où une nation nombreuse se trouve réduite d’agiter les grands objets politiques d’où dépend son bonheur, qui puisse autoriser la loi à lui en ravir l’examen.

« Si cette vérité est claire et démontrée, il en résulte nécessairement qu’il faudrait prouver que lorsqu’un article de loi est combattu et indécis, que les pouvoirs ne peuvent pas se concilier, il est impossible à la Nation d’adopter un parti entre les prétentions opposées ; et je n’aperçois aucune impossibilité.

« La décision d’un semblable différend se présente au contraire à mes regards comme simple et facile ; il s’agit d’un objet fixe, connu et éclairé par la discussion publique, sur lequel les assemblées élémentaires pourraient prononcer par la formule la plus précise oui ou non, si elles l’aimaient mieux par celle-ci : j’adopte l’empêchement ou je le rejette. Toute la Nation, divisée par grandes sections, s’exprimerait sans peine.

« On pourrait même avoir le suffrage de chaque votant et, quelque immense que paraisse cette opération au premier coup d’œil, elle se simplifie à l’instant lorsqu’on pense que, dans chaque Assemblée élémentaire, on dresserait aisément une liste particulière et que le dépouillement de ces listes donnerait un résultat général et certain. »

Il ajoutait :

« On élève beaucoup de doutes sur la sagesse de ces déclarations, et on appuie ces doutes sur l’ignorance du peuple… Il ne faut pas se laisser abuser par des mots ; le peuple est la Nation, et la Nation est la collection de tous les individus ; donc il n’est pas exact de dire en général et sans exception que le peuple est ignorant.

« Dans toutes les sociétés il est, je le sais, une portion des membres adonnée à l’agriculture et aux arts mécaniques qui n’a pas eu le temps de perfectionner son intelligence, qui n’est pas versée dans les différentes branches d’économie politique et d’administration, dont les vues sont peu étendues, avec un sens d’ailleurs assez droit ; mais cette portion, il est plus facile qu’on ne croit de l’éclairer, de l’intéresser insensiblement aux affaires publiques et de lui inspirer le goût de l’instruction.

« Au moindre mouvement de la liberté, vous voyez les hommes les plus