Page:Jaurès - Histoire socialiste, I.djvu/334

Cette page a été validée par deux contributeurs.
324
HISTOIRE SOCIALISTE

pour protester contre le système électoral proposé aussi bien que contre le veto.

Mais, malgré tout, les conflits naissants des partis bourgeois, n’ont pas été sans action sur le peuple ouvrier. D’instinct, il allait au parti du mouvement ; à celui qui voulait donner à la Révolution bourgeoise tout son essor : « Il est incroyable, dit Lostalot, avec quelle rapidité le peuple s’est instruit de cette question vraiment délicate et profonde.

« Dimanche un ouvrier, qui entendait crier contre le veto, demanda de quel district il était. Un autre disait que, puisqu’il inquiétait tout le monde, il fallait le mettre à la lanterne. Il n’y a point d’homme si borné qui ne sache aujourd’hui, que la volonté d’un seul homme ne peut balancer celle de vingt-quatre millions d’hommes. »

Les discussions véhémentes n’avaient pas seulement pour effet de commencer l’éducation politique du peuple ouvrier, prodigieusement novice encore et ignorant. En obligeant la fraction bourgeoise plus ardente, à chercher dans le peuple un point d’appui contre la puissance formidable du modérantisme bourgeois, les divisions de la bourgeoisie grandissaient le rôle des prolétaires : ceux-ci, bien faiblement encore, commencent à apparaître comme les arbitres possibles de la Révolution.

Le mouvement révolutionnaire de Paris, quoique avorté, ne fut pas sans effet sur l’Assemblée nationale. Je ne crois pas que, même sans cette agitation de Paris, elle se fût livrée au Roi et aux conseillers du Roi en leur accordant le veto absolu. Mais le soulèvement de la capitale diminua certainement les chances de ce veto absolu.

Il paraît bien, en tout cas, avoir troublé et gêné Mirabeau. Celui-ci, au fond, tenait pour la prérogative royale, pour le veto absolu, mais il fut contraint, pour ne pas perdre sa popularité, à envelopper sa pensée de tant de voiles et à prendre tant de précautions, qu’il n’exerça certainement aucune action efficace.

Sieyès combattit le veto avec force : il le représenta comme une sorte de Bastille, où l’on enfermerait non plus des individus mais la Nation :

« Ce serait, dit-il, une lettre de cachet contre la volonté générale. » A ceux qui, pour soutenir le veto royal, alléguaient le péril que le despotisme d’une Assemblée et « l’aristocratie des représentants » ferait courir aux libertés publiques. Pétion de Villeneuve répondit : « Que la sanction des lois pourrait être confiée au peuple. » C’est la première affirmation législative de l’idée du « référendum. »

Il y avait dans les paroles de Pétion un assez grand souffle de démocratie, et dans sa pensée une généreuse confiance en la raison éducable du peuple :

« Je ne connais qu’une seule et unique cause qui puisse empêcher les citoyens de s’immiscer dans la confection des lois et de censurer celles