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HISTOIRE SOCIALISTE


« Ce discours a été vivement applaudi ; on a crié : A la ville, à la ville, pour l’assemblée générale des districts, point de veto, à bas les aristocrates ! à bas les tyrans !

« Un autre citoyen a dit : « Messieurs, que tous ceux qui sont d’avis qu’il faut prier la Ville d’indiquer une assemblée générale et extraordinaire lèvent la main. » Toutes les mains ont été en l’air. »

Mais l’assemblée de la Commune signifia aux délégués qu’ils n’avaient aucun mandat légal et qu’elle n’entendait point délibérer avec eux. Devant cette résistance de la bourgeoisie modérée, l’animation révolutionnaire du Palais-Royal tomba ; le marquis de Saint-Huruge lui-même s’employa à y maintenir l’ordre avec des patrouilles bourgeoises, et les districts convoqués parurent s’occuper plus activement de la grande question « de l’uniforme » qui surexcitait la vanité des bourgeois notables que de la question du veto. Ainsi, dans cette première lutte de la bourgeoisie « modérée » et de la bourgeoisie « radicale », c’est la bourgeoisie modérée qui l’emporte. Il semble même que le parti du mouvement ait eu peur de son audace : il s’applique bientôt à s’ôter à lui-même toute apparence « subversive ». Un orateur s’écrie, dès le soir du lundi 31 août : « Rendons-nous demain dès quatre heures aux districts ; soyons, aidant qu’il sera possible, en habit uniforme, et ceux qui ne le portent pas, bien mis et bien peignés ; car on persuade à l’Assemblée nationale et à la ville que ce sont les gens de Montmartre qui s’assemblent au Palais-Royal ».

Il n’était pas besoin de ces curieuses paroles pour savoir que même au Palais-Royal le mouvement révolutionnaire, si véhément et exalté qu’il parût, était essentiellement bourgeois. C’est une chose remarquable que dans toute cette agitation, il n’ait pas été dit un mot de la question du cens électoral. Pourtant, dès le mois d’août les plans de Constitution présentés au nom du Comité de l’Assemblée ne reconnaissaient comme électeurs que les hommes qui payaient une imposition directe de trois journées de travail. En outre, nul ne devait être éligible s’il n’avait une propriété territoriale. Or, ces dispositions si graves, qui excluaient de la vie publique des millions de pauvres, ne soulèvent, au Palais-Royal même, en ces journées orageuses, aucune protestation. Il n’en est même pas fait mention. Toutes les colères, toutes les pensées sont pour le veto. Il avait à coup sûr une importance de premier ordre : il pouvait, en effet, arrêter la Révolution ; au contraire, la réglementation électorale pouvait toujours être modifiée et élargie par la nation si celle-ci restait souveraine.

Il est donc naturel que le grand effort révolutionnaire ait porté à ce moment-là contre le veto : mais si le peuple, qui assistait parfois aux réunions du Palais-Royal, avait eu le sens politique de ses intérêts de classe, si la bourgeoisie, que j’appelle « radicale » faute d’un nom précis qui la désignât à ce moment, avait eu le sens démocratique, quelques voix se seraient élevées