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HISTOIRE SOCIALISTE

annonçait déjà parfois, malgré son tumulte et le mélange incertain de ses éléments, cette correction bourgeoise qui sera bientôt la marque des Jacobins.

Le Palais-Royal oscille de l’esprit légalitaire et constitutionnel à l’effervescence révolutionnaire, et ces oscillations apparaissent bien dans le récit de Lostalot, ce jeune journaliste de vingt-six ans, si méditatif et si ardent à la fois, qui allait parfois aux réunions du Palais-Royal. Le bruit se répand à Paris que le samedi 29 août le veto absolu a été sur le point d’être adopté et que ses adversaires sont en péril :

« Dans l’après-midi (du dimanche 30 août), les citoyens se rassemblent, se communiquent leurs idées et leurs craintes ; les débats, les troubles de la séance de la veille semblaient confirmer les complots et les idées effrayantes que l’on s’empressait de se communiquer ; l’on se rendait au Palais-Royal, dans les clubs, dans les cafés pour obtenir la confirmation de ces nouvelles désastreuses ; les groupes se grossissaient de moment en moment, l’on voyait une trahison insigne et les têtes des meilleurs patriotes en danger.

« Vainement des hommes sages s’efforçaient de ramener le calme ; à chaque instant des personnes que leur civisme a fait connaître dénonçaient par leur inquiétude pressante le danger imminent de la liberté, et les injustices ou les attentats que l’on voulait commettre dans les séances suivantes.

« Il s’éleva sur le soir différentes motions dans le café de Foi ; les uns voulaient que l’on fît assembler les districts ; mais la lenteur de leurs opérations, l’incertitude de la réussite, le manque de caractère pour former une députation légale qui fût admise par les représentants de la Commune, l’absence de patriotisme dont l’opinion de certains particuliers inculpait quelques-uns de ses membres, semblaient enfin devoir forcer de renoncer à des démarches insuffisantes.

« Cependant il faut agir, disait-on ; dans trois jours la France est esclave et l’Europe suivra son sort ! Dans ces alternatives cruelles, l’on ne prit conseil que d’un patriotisme ardent. Dans la chaleur des débats, quelqu’un rédige une motion qui porte en substance que sur le champ il faut partir pour Versailles, déclare que l’on n’ignore point quels sont les complots de l’aristocratie pour faire passer le veto absolu ; que s’ils ne se rétractent, quinze mille hommes sont prêts à marcher ; que la nation sera suppliée de briser ces infidèles représentants et d’en nommer d’autres à leur place ; qu’enfin le roi et Monseigneur le dauphin seraient suppliés de se rendre au Louvre, pour que leurs personnes soient en sûreté ; tel était le contenu de cette motion.

« Le marquis de Saint-Huruge et quelques autres personnes sont nommés pour aller la présenter à l’Assemblée nationale ; mais la crainte que le parti aristocratique ne suspendit leur mission par la force, engage à marcher en nombre suffisant pour n’être point être arrêté.

« Il était environ dix heures lorsque deux cents personnes partirent du