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HISTOIRE SOCIALISTE

ment de l’absolutisme royal, allié de l’Église, les menaçait de perdre le gage espéré des biens ecclésiastiques, qui faisait seul maintenant la solidité de leur créance.

Le 31 août, à un moment où on pouvait croire que l’Assemblée nationale adopterait le veto absolu, elle reçut des lettres anonymes furieuses. Lecture en fut donnée ; voici celle qui était adressée au président :

« L’assemblée patriotique du Palais-Royal a l’honneur de vous faire part que le parti de l’aristocratie, formé par une partie du clergé, par une partie de la noblesse et cent vingt membres des communes ignorants ou corrompus, continue de troubler l’harmonie et veut encore la sanction absolue ; quinze mille hommes sont prêts à éclairer leurs châteaux et leurs maisons, et les vôtres particulièrement, monsieur. »

Une autre lettre anonyme, adressée à « MM. les Secrétaires », disait :

« Vous n’ignorez pas l’influence de l’Assemblée patriotique (du Palais-Royal), et ce qu’elle peut contre le pouvoir aristocratique. Nous venons d’instruire M. le Président, sur son désir particulier de faire adopter le veto absolu, que nous regardons comme destructeur de la liberté. Il est à craindre qu’il ne passe, et nous en accusons la cabale du clergé et de la noblesse formée contre le bien public, cent vingt membres des communes qui se sont laissé corrompre. Deux mille lettres sont prêtes à partir pour les provinces pour les instruire de la conduite de leurs députés ; vos maisons répondront de votre opinion, et nous espérons que les anciennes leçons recommenceront. Songez-y et sauvez-vous. »

Ces lettres de menace émanaient, j’imagine, de quelques basochiens exaspérés, qui voyaient brusquement se fermer devant eux les routes de la grande aventure bourgeoise, ou de rentiers forcenés qui tremblaient pour leurs titres.

On devine que les impatients avaient une médiocre sympathie pour les notables bourgeois, installés à l’Hôtel de Ville, qui avaient, pour la plupart, ou des pensions royales pour leurs travaux de savants, ou de belles fortunes de négoce et d’industrie, ou de belles charges dans l’institution judiciaire.

En tous cas, le Palais-Royal croyait utile de stimuler sans cesse de ses motions cette bourgeoisie des représentants de la Commune sincèrement révolutionnaire, mais trop inerte au gré des fervents. Mais au Palais-Royal même abondaient les démocrates désintéressés ; il ne faut pas oublier qu’il n’y avait pas encore à Paris de clubs puissants. Le club breton, qui deviendra le club des Jacobins, est encore à, Versailles, près de l’Assemblée nationale. Aussi tous les citoyens véhéments et passionnés pour la liberté, tous ceux qui avaient besoin de savoir des nouvelles de la Révolution et de veiller sur elle, affluaient-ils au Palais-Royal, qui était comme un vaste club ouvert, un centre d’informations et d’action. Aux heures graves, c’est sous l’influence de ces hommes fervents et consciencieux que le Palais-Royal délibérait, et il