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HISTOIRE SOCIALISTE

nombre des hommes, non domiciliés légalement à Paris, qui fréquentaient le Palais-Royal était grand. Le journal Les Révolutions de Paris, dit en août : « Il y a à Paris quarante mille étrangers logés en hôtel garni qui ne sont pas censés habitants et qui, pourtant, sont citoyens. Ne faisant pas partie de la commune de Paris, ils ne peuvent assister aux délibérations des districts ; mais, comme dans les districts on opine souvent sur des objets qui n’intéressent pas seulement la commune, mais toute la France, les étrangers se sont insensiblement formé un district qui est le Palais-Royal. »

On devine que ces hommes, dont beaucoup étaient venus à Paris pour suivre de plus près l’action révolutionnaire, et pour qui la Révolution était comme un spectacle émouvant, abondaient dans le sens des motions les plus hardies, les plus décisives ou les plus orageuses.

Il n’est pas impossible, d’ailleurs, que des émissaires de la diplomatie européenne, tels que sera, par exemple, le juif Ephraïm, envoyé du roi de Prusse, fussent mêlés à cette foule remuante et changeante où aucun contrôle n’était possible.

Lorsque, un an plus tard, en décembre 1790, Mirabeau trace à la Cour le portrait effrayant de ce qu’il appelle « la démagogie frénétique de Paris », il signale « une multitude d’étrangers indépendants qui soufflent la discorde dans tous les lieux publics ».

Il empruntait sans doute au Palais-Royal, un trait de son tableau. Mais quelle que fût la part de ces éléments flottants ou même suspects, quelle que fût la part de l’intrigue orléaniste ou cosmopolite, c’était, en somme, la bourgeoisie révolutionnaire parisienne, en ses éléments les plus ardents, qui dominait et dirigeait au Palais-Royal.

Il y avait d’abord ceux que, dans le langage conservateur, on appelle « des déclassés », c’est-à-dire tous les hommes qui, n’ayant pas trouvé sous l’ancien régime une situation convenable à leurs aptitudes, ou à leurs ambitions, ou à leurs appétits, attendaient tous les biens, la richesse, la notoriété, l’action, l’éclat et l’ardeur de la vie, d’un immense mouvement social qui allait renouveler toutes les administrations publiques, susciter d’innombrables fonctions électives, multiplier les occasions où l’énergie est une fortune, et dans le déplacement brusque d’une grande masse de propriétés, offrir aux convoitises habiles de riches proies.

Qu’on se figure l’effervescence de ces hommes, lorsque la Révolution paraissait compromise ou, tout au moins, arrêtée, c’est-à-dire diminuée précisément de cet inconnu où ils mettaient leur espoir.

Qu’on imagine leur colère lorsqu’ils apprenaient que la coalition des modérés et de la droite de l’Assemblée allait donner au Roi le veto absolu, c’est-à-dire, sans doute, maintenir et prolonger toutes les influences d’ancien régime.

Qu’on imagine aussi la fureur des rentiers, lorsque le quasi rétablisse-