Page:Jaurès - Histoire socialiste, I.djvu/316

Cette page a été validée par deux contributeurs.
306
HISTOIRE SOCIALISTE

Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément.

« La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont le droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »

Mais pendant que l’Assemblée délibère sur ces hauts objets, elle se heurte à des difficultés graves. Dans les mois si pleins et si étrangement compliqués d’août à octobre, elle va être prise entre la résistance sournoise de la royauté et une agitation révolutionnaire toute nouvelle de Paris.

Le roi et la cour, depuis leur désastre du 14 juillet, ont renoncé à l’offensive déclarée ; mais Louis XVI espérait toujours lasser la Révolution, pour la dompter enfin. Dès que les arrêtés du 4 août sont connus, il fait savoir qu’il ne les accepte point. Au lieu de se constituer le chef de la Révolution, qui ne demande, même après le 14 juillet, qu’à l’acclamer, il reste le chef, le protecteur des privilégiés.

Il écrit à l’archevêque d’Arles, M. de Boisgelin : « Je ne consentirai jamais à dépouiller mon clergé, ma noblesse ; je ne donnerai point ma sanction à des décrets qui les dépouilleraient ; c’est alors que le peuple français pourrait un jour m’accuser d’injustice ou de faiblesse. M. l’archevêque, vous vous soumettez aux décrets de la Providence, je crois m’y soumettre en ne me livrant point à cet enthousiasme qui s’est emparé de tous les ordres, mais qui ne fait que glisser sur mon âme. »

Par ces paroles, il ne se compromettait pas seulement lui-même ; il ôtait aux sacrifices des privilégiés toute apparence de sincérité, car le peuple se dirait avec raison que si vraiment les privilégiés faisaient sans arrière-pensée l’abandon de leurs privilèges, ils décideraient bien leur chef, le roi, à y consentir avec eux et pour eux.

Le roi ne s’enferma pas dans cette fin de non recevoir et, par sa lettre du 18 septembre adressée à l’Assemblée, il essaie d’éluder les arrêtés du 4 août en multipliant les objections de détail. Il demande que l’indemnité s’applique aussi aux droits personnels, aux droits de servitude qui ont été transformés depuis en redevances pécuniaires, et surtout, il veut perpétuer les droits féodaux en rendant le rachat presque impossible. Et pour cela, il veut obliger les paysans à racheter à la fois tous les droits dont ils sont grevés, non seulement le cens ou le champart qu’ils payent tous les ans, mais encore le droit de lods et ventes, qu’ils ne payent qu’éventuellement, si leur propriété vient à changer de main.

Ainsi ne pouvant faire face à la charge considérable de ce rachat total, les paysans continueraient à supporter la tyrannie féodale. « L’Assemblée, dit-il,